Fénelon élu à l'Académie française

Une présentation réalisée par François Chabanon

01 FENELON 01 FENELON   Fénelon écrivain

 

Peu d'hommes autant que Fénelon auront inspiré et marqué la littérature française et aussi étrangère au XVIle siècle.

 

 

LE 34e FAUTEUIL

ou une chronique sur la présence de Fénelon à l’Académie française entre le 7 mars 1693 et le 8 janvier 1715 

            

 « Ensuite, on a distribué selon la coustume, des boules blanches et des boules noires et toutes, à la réserve de deux ayant estées favorables, Monsieur le Directeur l’a déclaré admis au 1er scrutin et s’est chargé en mesme temps de sçavoir si le Roi aurait agréable le choix que la Compagnie venait de faire sous le bon plaisir de Sa Majesté »

               Ainsi fut conclu  le compte rendu de la séance de l’Académie française en date du samedi 7 mars 1693 au cours de laquelle Fénelon fut élu.

              Il semble à cette époque qu’un usage, ou la volonté du roi, veuille que les précepteurs des enfants royaux entrent à l’Académie. Il en fut ainsi avant Fénelon, de La Motte de Vayer, précepteur du jeune Louis XIV et de son frère, admis en 1639, , de Bossuet, précepteur du grand Dauphin, de Claude Fleury –assistant de Fénelon auprès du Duc de Bourgogne-puis entre autres, plus tard de Guillaume Dubois, précepteur du duc d’Orléans (régent du royaume après la mort de Louis XIV) devenu aussi cardinal, archevêque de Cambrai et qui comme chacun sait ne mit jamais les pieds dans son diocèse. Mais le grand roi aimait s’entourer d’écrivains et d’artistes et les talents se consacraient à la Cour : ainsi, Racine, nommé historiographe du roi l’accompagne à la guerre pour encenser ses faits d’armes. Pierre Miquel dans son « Histoire de la France » rappelle que la plupart des chefs d’œuvre de la littérature classique ont été produits dans les décennies 1660-1670 grâce à la protection du souverain. Boileau et La Bruyère, qui n’épargnèrent pas les Grands du royaume  ne subissent pas ou très peu la censure. Tartuffe peut survivre sur les scènes grâce à Louis XIV. La Harpe, dans son éloge de Fénelon écrira : « le monarque, entouré de tous les arts, était digne de leurs hommages et leur offrait son règne pour objet de leurs travaux ».

             La présence de Fénelon à l’Académie si elle est souvent citée n’a pas fait l’objet jusqu’à présent de développements particuliers.

             Trois raisons peuvent expliquer que son passage à l’Académie française n’ait pas marqué particulièrement les biographes et autres chroniqueurs qui ont parlé de lui :

  • Son admission, qui contrairement à celle de certains de ses confrères  ne semble pas avoir été contestée ni par ses pairs, ni par le roi.

  • Sa présence, relativement éphémère  au Palais du Louvre (où siégeait l’Académie à cette époque) du fait de son exil forcé à Cambrai à partir de 1699,

  • Surtout, et avant même 1693 l’affaire du quiétisme qui commence à agiter la Cour et l’Eglise et qui occultera sensiblement les autres aspects de la vie, de la personne et de l’oeuvre de Fénelon.

              Dans son ouvrage sur l’histoire du diocèse de Cambrai et de Lille, Pierre Pierrard confirme implicitement que ces périodes de la vie de Fénelon ont été un peu occultées. Pour lui, il n’y pas lieu d’évoquer son destin personnel avant sa nomination à Cambrai ; son rôle et ses idées politiques, sa participation aux grands débats théologiques, son œuvre générale. Seul, dit-il, le pasteur du diocèse doit retenir l’attention.

              Aussi, pour beaucoup, on peut conclure très schématiquement qu’à Cambrai, Fénelon c’est le pasteur dévoué à son diocèse, ailleurs, c’est la querelle du quiétisme. L’Académie n’a que peu de place dans ce tableau.

            Il a paru donc intéressant de regarder comment fonctionnait cette jeune institution qui entrait dans sa 58e année avant de consacrer quelques lignes qui éclaireront la présence de Fénelon depuis son élection jusqu’à sa mort et la notoriété qu’il y a laissée.

 

 

I   L’ACADEMIE FRANCAISE DANS LA 2e MOITIE DU XVIIe SIECLE

 

              L’Académie a tout juste trente cinq  ans  d’existence  lorsqu’éclate ce qu’on a appelé la querelle des anciens et des modernes. Cette prestigieuse institution est bien sûr, composée de grands noms mais elle a aussi multiplié les élections de personnages plus ternes et quand on consulte la liste, les recrutements d’ecclésiastiques et de courtisans ont été particulièrement favorisés.

              On constate aussi que la moyenne d’âge lors de l’élection est très jeune : ainsi, Armand COISLIN, lieutenant général des armées du roi est nommé à 16 ans et reçu à 17 ans. Paul TALLEMANT (abbé) et Jacques Nicolas COLBERT (archevêque de Rouen) y entrent à 24 ans. Il faut reconnaître qu’à cette époque, on ne vivait pas très vieux sauf quelques exceptions comme Bernard LE BOUYER DE FONTENELLE seul presque centenaire de l’institution à cette époque et qui siègera 66 ans à l’Académie.

              Pour faire simple, disons que la querelle des anciens et des modernes opposait ceux qui croyaient à l’universalité de la langue française –les modernes- et les anciens qui  considéraient que seules les langues mortes –latin et grec- étaient de nature à exprimer la gloire du roi. En 1670, Jean Desmarets de Saint Sorlin démontrait l’extrême qualité de la langue française qui permettait d’exprimer les beaux sentiments d’où l’inutilité de recourir au latin et au grec. L’Académie des Inscriptions à laquelle appartenait Claude GROS de BOZE qui fut un temps secrétaire de Louis XIV et qui sera le successeur de Fénelon au fauteuil 34 semblait favoriser ces derniers. On peut donc envisager l’idée que cette querelle était en sorte une rivalité larvée entre ces deux académies mais aussi le résultat des critères de recrutement. Elle se déroula en deux temps.

C’est Louis DE LAVAU, abbé, qui aurait déclenché la querelle en lisant un discours de LA FONTAINE sur l’avantage que les anciens ont sur les modernes. Charles PERRAULT,  l’auteur des contes élu en 1671 et lui aussi membre de l’Académie des Inscriptions lui répliqua dans « Le siècle de Louis le Grand » pour le parti des modernes où Homère, Sophocle et Virgile étaient sacrifiés, ce qui déclencha les hostilités lors d’une séance en 1687 spécialement tenue pour fêter la guérison du roi.

              Evoquer l’abbé De Lavau amène à parler des conditions dans lesquelles on pouvait être admis à l’Académie française. Selon les informations des archives de l’institution, De Lavau  aurait réussi l’organisation du mariage d’une des filles de Colbert avec le Duc de Mortemart et demanda lui-même comme récompense de son intervention de le faire entrer à l’Académie alors que comme pas mal d’autres, il n’avait jamais rien écrit.

             

 

Après son entrée à l’Académie, Fénelon, qui ne connaîtra que la seconde phase de la querelle, même s’il n’y participe pas ouvertement, et sans doute en raison de sa grande culture de l’Antiquité  se sentira plus proche des anciens, avec Bossuet, Racine, La Fontaine mais dans sa Lettre à l’Académie, il se montre plutôt novateur : « …ma conclusion est qu’on ne peut trop louer les modernes qui font de grands efforts pour surpasser les anciens. Une si noble émulation promet beaucoup ». Plus tard, dira La Harpe, Il eut l’éloquence de l’âme et le naturel des anciens. La première phase s’éteint en 1695 presque soudainement avec l’élection de l’abbé Castel de Bergeret à laquelle s’opposait Bossuet, Boileau et La Bruyère.

 

              Mais qui Fénelon rencontra-t-il à son entrée dans l’institution ?

 

              Quelques anecdotes illustrent la diversité de ses membres. Si l’on exclut évidemment les dames qui devront attendre encore 287 ans (345 ans après la création de l’institution), on rencontre beaucoup d’ecclésiastiques : 18 sont 6 évêques (leur nombre culminera à 24 sur 40 en 1711), des militaires (les maréchaux seront à leur tour nombreux au début du 20e siècle), quelques diplomates, des magistrats et quelques écrivains de talent : Thomas Corneille, Bossuet, Racine, La Fontaine, Boileau.  La Bruyère, déjà candidat en 1691 et peut-être par admiration pour Fénelon, retira sa candidature en sa faveur et fut d’ailleurs élu quelques semaines plus tard à un autre fauteuil (le 36e). Il écrira de lui et de son vivant : « On sent la force et l’ascendant de ce rare esprit, soit qu’il prêche de génie et sans préparation soit qu’il prononce un discours étudié et oratoire, soit qu’il explique ses pensées dans la conversation : toujours maître de l’oreille et du cœur qui l’écoutent, il ne leur permet pas d’envier ni tant d’élévation, ni tant de facilité de délicatesse, de politesse. » Prenant ensuite ses distances avec Fénelon, il se lancera dans la rédaction de « Dialogues sur le quiétisme », où, solidaire de Bossuet et de la Cour, il attaque la nouvelle spiritualité. Surpris par la mort le 11 mai 1696 il n’aura droit qu’à l’expression de brèves sympathies de ses collègues. Rapidement le silence se fera sur lui  et l’on ne parlera plus que de l’auteur des « Caractères » qu’on ne se privera pas de piller et de plagier.

 

Alors que l’on s’approche de la fin du XVIIe siècle le recrutement est marqué par un certain déclin en raison d’élections médiocres avec des personnages inconnus du public de nos jours, incapables de revendiquer une œuvre et comme on le voit, surtout de nombreux prélats marquant un esprit dévot qui correspondait au déclin du grand règne.   Les appréciations des uns sur les autres ne manquent pas de surprendre car de nos jours il est plus rare de voir nos immortels se prononcer publiquement et ouvertement sur leurs collègues, ou bien ils le font d’une façon plus feutrée. On ne peut résister au plaisir de prendre connaissance de quelques petites anecdotes de ces premiers immortels.

Ainsi, de Paul de CHAUMONT, ancien évêque de Dax, admis sans avoir rien écrit, Chapelain dira : « on n’a jamais vu de lui ni en prose ni en vers qui puisse lui faire honneur »

Antoine DAUCHET, élu au 5e fauteuil à la place de Paul TALLEMANT (le théologien) dira de lui : « plus recommandable par ses vertus que par ses talents »

Jean-François CHAMILLART, évêque de Senlis provoqua un incident lors de son admission : il exigea que ses nièces assistent à sa réception alors que jamais une femme n’était auparavant admise à ce type de cérémonie. De ce jour date l’admission des dames aux séances publiques et aux réceptions solennelles.

Au 14e fauteuil siégeait Thomas CORNEILLE depuis 1684. Reçu par Racine, il avait obtenu de grands succès avec ses tragédies (Circé, Ariane) et une comédie (Le festin de Pierre). Voltaire, lui aussi académicien,  dira plus tard de lui que c’est un homme qui aurait eu une grande réputation s’il n’avait pas eu de frère. En effet, Thomas succéda à Pierre au 14e fauteuil alors que Racine voulait lui opposer le Duc du Maine fils bâtard de Louis XIV et de Mme de Montespan qui ne s’était jamais fait remarquer par ses talents littéraires.

François CHARPENTIER avait été le prédécesseur au 18e fauteuil de Chamillart déjà cité. Il siégea pendant 51 ans. Il fut un promoteur des inscriptions en français sur les monuments publics au lieu du latin.

Antoine FURETIERE, le premier à avoir été exclu de l’Académie (procédure très rare dans l’histoire de l’institution puisqu’elle n’est pas prévue dans ses statuts) disait d’un de ses collègues: « Barbier d’Aucourt est un homme qui a deux noms aussi inconnus l’un que l’autre ».

Le 19e fauteuil était occupé par Nicolas POTIER de NOVION, 1er président du Parlement de Paris, il falsifiait paraît-il  les arrêts qu’il devait, en sa qualité, signer.

Son voisin au 20e fauteuil fut Roger de BUSSY RABUTIN,  cousin de Mme de Sévigné que Fénelon ne fit probablement que croiser car il devait décéder le 6 avril 1693. Embastillé alors qu’il venait tout juste d’être élu à l’Académie, puis exilé par Louis XIV sur ses terres de Bourgogne, on connait ses démélés avec le roi pour son « Histoire amoureuse des Gaules ».

C’est la qualité du discours de réception de Charles PERRAULT reçu en 1671 qui est à l’origine depuis cette époque de la publication jusqu’à nos jours, des remerciements des académiciens.

Le cardinal César d’Estrées, évêque de Laon et  neveu de la belle Gabrielle d’Estrées, favorite d’Henri IV, élu en 1658 était devenu handicapé à la fin de sa vie. Jusqu’alors, seul le directeur avait droit au fauteuil, les autres se contentant de simples chaises. D’Estrées demanda  en 1712 pour un meilleur confort la faveur d’avoir un fauteuil. On en rendit compte à Louis XIV qui, prévoyant les conséquences d’une telle distinction ordonna à l’intendant du garde meuble royal de faire porter au Louvre 40 fauteuils pour respecter l’égalité académique. Fénelon aurait pu bénéficier aussi de ce confort s’il avait pu siéger à cette période. Il faut rappeler qu’à la Cour, seul le roi avait un fauteuil, les autres en fonction de leur rang devaient se contenter d’un tabouret. De là l’appellation de fauteuil à l’Académie. Cette anecdote confirma aussi la formule selon laquelle l’Académie française  était la première institution démocratique de l’ancien Régime.

Quant à Jean de La FONTAINE, élu en 1683 il ne fut reçu que l’année suivante en raison de sa disgrâce liée à son amitié avec Nicolas Fouquet alors que celui-ci était déjà mort depuis 3 ans. Louis XIV qui avait la rancune tenace s’opposait à son admission.

Pour clore cette énumération très sommaire mais peut-être un peu fastidieuse des contemporains de Fénelon, honneur à Bossuet qui prononça son 1er sermon à 16 ans à l’Hôtel de Rambouillet et fut précepteur du grand Dauphin en 1670. Elu en 1671 au fauteuil 37 son remerciement eut pour titre « Sur les avantages de l’institution de l’Académie ». Il n’y citera même pas Hay du Chastelet, son prédécesseur.

 

 

 

 

Portrait en pied de FAcnelon Portrait en pied de FAcnelon  

 

IIe PARTIE : FENELON A L’ACADEMIE FRANCAISE

 

              Paul PELLISSON, maître des requêtes ordinaires de l’hôtel du roi, embastillé pendant quatre ans pour avoir été aussi l’ami de Nicolas Fouquet, élu en 1652 meurt le 7 février 1693 à l’âge de 69 ans après avoir été fortement convié par Fénelon à recevoir les sacrements. La chronique de l’Académie mentionne le jour même : « Ce jour-là, l’Académie étant assemblée pour son travail ordinaire a appris avec douleur que le matin du mesme jour, un de ses plus illustres et de ses plus célèbres académiciens estoit mort à Versailles après une maladie de peu de jours » signé : Regnier Desmarets.

              Le samedi 7 mars de la même année (donc juste un mois après), l’abbé Fénelon est élu au fauteuil n°34, dans les conditions citées dans l’introduction. Il était ainsi, depuis la création de l’Académie, le 3e à ce fauteuil après Porchères-Laugier, auteur entre autres d’un sonnet sur Gabrielle d’Estrée, favorite d’Henri IV et Pellisson.

              Avait-il été candidat ?

              Assurément, et son successeur de Boze le confirmera car à cette époque, il a dû faire acte de candidature, formalité requise depuis qu’Arnaud d’Andilly, éminent janséniste qui devait d’ailleurs mourir à Port-Royal des Champs, élu spontanément à l’Académie avait décliné cet honneur. L’Académie s’en montra vexée et exigea désormais la formalité de la candidature préalable. Les archives de l’Académie ne détiennent pas le document écrit de cette candidature de l’abbé Fénelon.

              Fénelon s’était-il alors fait remarquer par son œuvre littéraire  néanmoins authentique?  A part le « Traité pour l’éducation des filles » et « Le ministère des pasteurs », il semble que non. Gustave Lanson, un  historien du XIXe siècle écrira dans son Histoire de la Littérature française: « Il se pourrait que le chef d’œuvre de Fénelon, ce fut sa vaste correspondance ».

              Donc, ce samedi 7 mars, on lit dans la même chronique citée en introduction, sorte de journal de bord de la compagnie : « Ce jour-là, la Compagnie, convoquée par billets a procédé au 1er tour de scrutin pour remplir la place vacante par la mort de M. Pellisson. Tous les billets, au nombre de 21 ont été remis entre les mains de M. l’abbé Régnier et se sont trouvez remplis du nom de M. l’abbé de Fennelon, précepteur de Mgr le Duc de Bourgogne »

Après la confirmation par le procédé des boules blanches et noires, M. Bergeret, directeur en exercice écrit à Racine, chancelier en exercice à cette époque et qui était alors à Chantilly avec le roi pour recevoir les ordres touchant ce choix. Racine répond rapidement que le roi avait non seulement agréé ce choix de la Compagnie mais qu’il « avoit tesmoigné qu’elle n’en pouvait faire un meilleur ».

Aussi, le 16 mars conformément au mode d’élection, un second scrutin confirmait le choix précédent.

              Alors que de nos jours, on laisse au nouvel élu un temps suffisant –parfois plus d’un an- pour préparer sa réception, au XVIIe siècle, la cérémonie  intervient très rapidement. Ainsi Fénelon est reçu le 31 mars. Il faut dire que le remerciement du nouvel élu ne consistait pas tant, comme de nos jours, à faire l’éloge de son prédécesseur ce qui nécessitait soit de le connaître personnellement et à part la veille de sa mort il ne semble pas avoir rencontré Pellisson, soit d’effectuer certaines recherches, que d’évoquer le souvenir de Richelieu et surtout la gloire du roi. Fénelon ne manquera pas à cet usage mais l’éloge de Pellisson tient une place très honorable dans son remerciement qui porte le titre : « Des grâces de l’élocution ». Ce qu’il dit de son prédécesseur  est pour autant élogieux ; évoquant l’histoire de l’Académie écrite par celui-ci :«  il y montra son caractère qui était la facilité, l’invention, l’élégance, l’insinuation, la justesse, le tour ingénieux ». Le nouvel admis rappelle la disgrâce royale et les malheurs de Pellisson, son embastillement. Sur Louis XIV on lit « Avec quelle joie, verrons-nous Messieurs, dans cette Histoire un Prince qui dès sa plus tendre jeunesse, achève par sa fermeté ce que le grand Henri son ayeul osa à peine commencer ! ». On voit là un habitué de la Cour. Il achève son remerciement par cette phrase : »la passion est l’âme de la parole », expression qu’il reprendra dans sa lettre à l’Académie en 1714. Commençant cette même lettre il remerciera encore de son élection : « J’avoue que la demande que vous me faîtes au nom d’un corps auquel je dois tout… ».

Fénelon  est reçu par Jean-Louis Bergeret.

Ainsi qu’il est d’usage, Bergeret débute son discours d’accueil en appelant Fénelon non pas Monsieur l’abbé mais  « Monsieur » puis revient sur l’éloge de Pellisson : « ce n’est pas une perte particulière qui ne regarde que nous, toute la république des lettres (expression de l’époque attribuée à Colbert) y est intéressée et nous pouvons nous assurer que tous ceux qui les aiment regretteront notre illustre confrère ». A l’endroit de Fénelon, Bergeret ne tarit pas d’éloges : « Le plus grand honneur que l’Académie française lui pouvait faire  après tant de réputation qu’il s’est acquise, c’était, Monsieur de vous nommer pour être son successeur et de faire connoître au public que pour bien remplir la place d’un académicien comme lui, elle a jugé qu’il en fallait un comme vous ». Plus loin on lit : « On sait que vous aviez résolu de vous cacher toujours au monde et qu’en cela votre modestie a été trompée par votre charité ». Bien entendu, Bergeret glisse un compliment à l’égard du Duc de Bourgogne : « celui de ces jeunes princes que la providence a destiné à monter un jour sur le trône est un de ces génies supérieurs qui ont un empire naturel sur les autres » suivi par celui du roi « Quoiqu’il arrive de notre langue, la gloire de Louis le Grand ne périra jamais ».

             

Les comptes-rendus de séances sont assez sommaires en ces premiers temps de vie de l’Académie. Mais la liste des présents aux séances permet d’apprendre que contrairement à certains de ses collègues qui, s’ils n’étaient pas exilés ou embastillés pour une raison ou une autre, brillaient par leur absence, Fénelon semblait y être assidu jusqu’à son exil forcé dans son diocèse. Par exemple, il est indiqué, conformément aux statuts, que lors de la séance du 2 janvier 1694, sont élus pour deux mois, M. l’abbé Fénelon en qualité de Directeur et Corneille (Thomas) en qualité de Chancelier.

Le 5 février 1694, Fénelon célèbre une messe commandée par l’Académie à la mémoire de l’abbé De Lavau aux Carmes des Billettes.

A la séance du 1er juillet 1695, Fénelon est encore élu directeur, l’archevêque de Rouen, Jacques Colbert devenant chancelier. Malgré l’obligation royale faite à Fénelon de ne plus sortir de son diocèse, celui-ci remplira une dernière fois la fonction de directeur pour 2 mois à partir du  2 octobre 1698. Il faut d’ailleurs remarquer une petite controverse de dates car selon certains, Fénelon aurait été assigné à résidence à Cambrai dès 1697. Dans une lettre du 24 mai 1698, Mme de Maintenon écrit à l’archevêque de Paris : « J’eu hier une grande conversation avec le roi ; il veut ôter M. de Cambrai et tout ce qui environne les princes mais il cherche sans cesse des raisons de différer ». En effet,  il faudra attendre janvier 1699 pour que Louis XIV le prive de son logement à Versailles officialisant ainsi son exil définitif. En fait, se sentant en disgrâce, Fénelon veut rapidement quitter Paris et Versailles bien que le roi lui eut permis : «… de ne pas se presser pour son départ et se donner le loisir dont il aurait besoin pour donner ordre à ses affaires ». Fénelon se sentait sans doute plus libre à Cambrai pour échanger toute sa correspondance avec Rome et ses amis en trompant la vigilance des espions par les divers chemins, notamment la Belgique.

Il est donc probable qu’il ne croisa jamais son successeur à l’archevêché de Cambrai, Jean d’Estrées, qui fut reçu le 25 juin 1711 à la place de Boileau au fauteuil n° 1.

Il n’est pas trace dans les archives de la compagnie que Fénelon ait lui-même reçu ou parrainé quelqu’un, même l’abbé Fleury, son assistant dans l’éducation du petit duc, élu en 1696 au fauteuil de La Bruyère qui était décédé subitement le 10 mai, après avoir siégé seulement 3 ans.

 

La première édition du Dictionnaire de l’Académie avait semble-t-il irrité un peu Fénelon du fait selon lui de l’appauvrissement de la langue française  mais ce n’est que vers la fin de sa vie et alors qu’il était exilé, qu’il réagit par sa fameuse lettre, écrite en fait à la demande de Dacier, le secrétaire perpétuel. Fénelon s’y montre d’une incroyable modernité allant même jusqu’à prôner l’utilisation (modérée) de mots empruntés aux langues étrangères modernes pour enrichir le français en tant que de besoin.

On ne mentionnera plus son nom dans les procès-verbaux de délibérations jusqu’à la veille de sa mort. En effet, lors de la séance du 5 janvier 1715, l’Académie doit délibérer sur une requête d’un certain  M. Coignard, libraire selon laquelle une publication de M. de Cambray serait trop onéreuse pour lui s’il n’en éditait que 40 exemplaires. Aussi la Compagnie entrant dans ses intérêts lui a permis de l’imprimer pour le public. Cet ouvrage ne fut en fait publié qu’en 1716 sous le titre exact : « Réflexions sur la grammaire, la réthorique, la poétique et l’histoire » ou « Mémoires sur les travaux de l’Académie française à M. Dacier, secrétaire perpétuel de l’Académie et Garde des livres du cabinet du roi ». La lutte entre les anciens et les modernes s’était en effet rallumée au sujet d’Homère. Invité à donner son avis, Fénelon ne resta pas étranger au débat mais fut prudent  et sut échapper aux prises. Sa polémique fut douce et polie (ce qui n’avait pas le cas des autres intervenants) laissant au lecteur le soin de tirer les conclusions. C’est cet écrit qu’on a désigné ensuite habituellement sous le nom de « Lettre sur les occupations de  l’Académie ». On voit que Fénelon même exilé participait cependant indirectement aux travaux de la compagnie. Il se fit retourner son manuscrit pour l’améliorer encore  prétextant qu’il voulait revoir son travail pour le rendre plus digne de l’honneur dont il était l’objet. En quelque cent pages, il passe en revue toute la littérature en prose et en vers. L’ouvrage, dira un critique, est plein de jugements courts et complets et de portraits frappants sur les auteurs célèbres. Il sait y être très direct : « …Oserais-je parler avec la même liberté sur les prédicateurs ? Dieu sait combien je révère les ministres de la parole de Dieu mais je ne blesse aucun d’eux personnellement en remarquant en général qu’ils ne sont pas tous humbles et détachés ».

 

 

III CE QUI FUT DIT SUR FENELON A L’ACADEMIE APRES SA MORT

 

Portrait de FAcnelon A  l\'AcadAcmiebis Portrait de FAcnelon A l\'AcadAcmiebis    Gravure de fénelon à l'académie française

 

              Dès le 19 janvier 1715 « La Compagnie convoquée par billets s’est rendue aux Cordeliers où elle a fait faire selon sa coutume un service pour le repos de l’âme de Mgr de Salignac de la Motte Fénelon, archevesque-duc de Cambray ». Puis lors de sa 1ere séance ordinaire suivante, la Compagnie s’est rendue au Louvre pour procéder à la proposition d’un académicien à la place laissée vacante par la mort de M. l’archevêque de Cambrai. Il y eut 25 présents, on a tiré au sort un « évangéliste » et tous les suffrages ont été pour M. de Boze, secrétaire de l’Académie des Inscriptions. Celle-ci fut agrée le 28 février par le roi puis M. de Boze a été confirmé par tous les suffrages. Il est utile de préciser ici le rôle à l’Académie d’un « évangéliste » dont le mot surprend un peu : c’est celui qui, dans une compagnie, est nommé pour être témoin  et inspecteur du scrutin.

C’est le dernier agrément que devait donner Louis XIV à un candidat. Dès le lendemain de la mort de celui-ci, c'est-à-dire  le 2 septembre 1715, on relève dans la chronique de l’Académie :

«  Hier, à huict heures un quart du matin, l’Académie fit la plus grande perte que jamais compagnie ayt faite. La courronne de sa teste tomba, elle perdit son auguste protecteur, sa douleur ne peut être estimée. Elle tâchera de rendre ses regrets aussy immortels et aussy publics que la gloire de son héros qui ne mourra jamais et remplit toute la terre ».

              Comme nous le dit l’Histoire, le roi mourant, dans cette  scène célèbre,  quelques jours auparavant pour son message au petit dauphin qu’il avait fait appeler pourrait en quelque sorte avoir été inspiré par les deux hommes qu’il n’a pas suffisamment écoutés et qu’il a même écartés par défiance mais qui furent en quelque sorte la conscience de cette fin de règne : le prêtre : Fénelon et le soldat : Vauban.

              A un jour près, Fénelon ayant été reçu le 31 mars, mais 22 ans plus tard  le 30 mars 1715 est reçu Claude Gros de Boze. Il dira en guise de remerciement : «  N’avez-vous point à craindre encore que dans cette assemblée même, il s’élève quelque voix hardie qui vous reproche le successeur que vous donnez à un académicien aussi distingué que l’était Monsieur l’Archevêque de Cambrai. L’impossibilité de le remplacer qui fait dignement son éloge, fera-t-elle aussi surement votre excuse ?  Non qu’il faille le parer ici de l’ancienneté de la noblesse, il semblait ne s’en souvenir lui-même que pour être plus fidèle à tous ses devoirs, et un zèle semblable à celui qui fit les premiers héros du christianisme le consacra dès ses plus brillantes années à l’humble emploi des missions apostoliques.»

 

 

Plus loin, on lit encore :

« Sa modestie fut trahie par l’éclat du succès ; la cour reconnut ses divers talents. Le Prince confia l’éducation de ses petits-fils à celui qui avait si heureusement travaillé au salut de ses peuples ».

Puis encore un peu plus loin, de Boze confirme ici en effet la candidature de Fénelon en 1693: « Il sut Messieurs, vous intéresser, il vous associa presque à un si glorieux emploi, il désira et il obtint une place parmi vous… ». Comme on le sait, La Harpe, D’Alembert, auteur d’un éloge des académiciens morts de 1700 à 1770, citeront aussi Fénelon avec beaucoup d’insistance; celui de Fénelon par La Harpe fut couronné par l’Académie française ce qui donna lieu à l’intervention de l’archevêque de Paris et du roi et au rétablissement du visa des docteurs en théologie ce qui humilia fortement l’Académie.

On découvre aussi dans les archives de l’Institut  cette phrase d’éloge de J. Labouderie écrivain de la fin du XVIIIe siècle qui lui par contre n’était pas académicien : « Je ne puis disposer de quelques pages pour faire connaître un génie si sublime, une si noble vertu » ; et il ajoutait : « ce qu’il y a peut-être de plus admirable dans les ouvrages de l’archevêque de Cambrai c’est sa correspondance. Là comme dans ses entretiens, il posait les principes les plus incontestables dont il triait les conséquences les mieux adaptées à la situation et au caractère de celui à qui il écrivait et de celui avec lequel il conversait ».

Mais de la part de ses confrères prélats et ecclésiastiques, le silence à son intention est imposant. De son vivant et sans le nommer, l’abbé Fleury dira : « Que n’aurais-je le droit d’espérer quand je compterai pour protecteurs que ces deux grands prélats qui ont présidé successivement à l’éducation des princes et dont j’ai reçu tant de grâces que je ne puis assez les publier ». A part le cardinal Bausset qui fut son 6e successeur au fauteuil 34, on peut noter toutefois Lacordaire, reçu en 1861 qui cite Fénelon en l’opposant à Saint Grégoire de Nazianze, un évêque du IVe siècle, opposition pas forcément évidente dans la mesure où ces deux personnages pouvaient présenter certaines ressemblances de caractère et de situation. En approfondissant un peu, ce saint homme passait plutôt pour romantique au sens où on l’entendait au XIXe siècle alors que Fénelon ne l’était pas ; et puis comment comparer deux personnages éloignés de treize siècles.

En 1840, le Comte Molé, 1er Ministre de Louis-Philippe est élu à ce même fauteuil 34. Il dira dans son remerciement : « Lorsque l’Académie française appela l’archevêque de Paris en son sein, elle cherchait un successeur au cardinal de Bausset, à l’historien de Fénelon et de Bossuet, à ce personnage éminent dans lequel avait semblé revivre l’esprit, le charme, l’insinuante et noble politesse de l’immortel archevêque de Cambrai ».

              En bousculant un peu la chronologie et très récemment, un cambrésien, amateur de belles envolées académiques peut dresser l’oreille au discours de réception de Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême, seul ecclésiastique actuel membre de l’Académie élu en 2008, qui rappelle qu’il prend place dans le fauteuil  qui fut celui d’un archevêque de Cambrai : mais non ! ce n’est pas Fénelon mais son successeur direct à Cambrai, Jean d’Estrées, déjà cité, à l’époque, évêque de Laon et qui aurait été admis car « il fallait un nom » pour remplacer Boileau.

             

Il faudra le XIXe siècle et la réception  de Mgr Hyacinthe de QUELEN archevêque de Paris, le 25 novembre 1824 au fauteuil du cardinal Bausset et dernier ecclésiastique élu à ce fauteuil, pour voir réunis dans un même éloge et peut-être en quelque sorte réconciliés post-mortem Fénelon et Bossuet : « Qu’il me soit permis d’ajouter aux éloges de l’académicien une parole d’action de grâce et un vœu qu’un évêque ne se lasse pas de répéter et qu’un français ne se lasse pas d’entendre : Bossuet et Fénelon ! béni soit le Seigneur qui dans sa bonté vous a donné à notre Eglise ! astres majestueux et bienfaisants qu’il a fait luire sur elle, l’un comme un soleil étincelant qui, versant d’un bout à l’autre de sa course des flots de lumière, chasse les plus légères ténèbres devant les investigateurs de la vérité et force ses ennemis les plus rebelles à la reconnaître au grand jour où il les contraint de marcher ; l’autre, semblable au flambeau de la nuit qui, répandant sa douce et mystérieuse clarté sur les pas du voyageur, le dirige dans son pèlerinage à travers les sentiers paisibles et les routes silencieuses où il aime à se cacher. Bossuet et Fénelon, chers aux princes, maîtres consommés dans l’art d’enseigner et d’instruire ceux qui doivent gouverner la terre ! ah ! daigne le ciel, pour confirmer sur nous ses miséricordes,  vous susciter de nobles émules  et de fidèles imitateurs ! Puissent votre sagesse inflexible  et votre douce persuasion recevoir au sortir du berceau le royal enfant que la France  s’enorgueillit d’avoir donné à l’Europe. »

 

 

 

 

SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES

Archives de l’Institut de France

Bibliothèque de l’Institut de France

Dictionnaire des littératures de la langue française (Editions Bordas)

FENELON  par Sabine Melchior-Bonnet (Editions Perrin)

HISTOIRE DE LA LITTERATURE FRANCAISE DU XVIIe SIECLE par Jean Rohou (PUF)

LA VIEILLE DAME DU QUAI CONTI par le Duc de Castries (L.A. Perrin)

DES SIECLES D’IMMORTALITE  par Mme Carrère d’Encausse, actuelle secrétaire perpétuel de l’AF (Fayard)

HISTOIRE DE LA FRANCE par Pierre Miquel  (Fayard 1988)

HISTOIRE DES INSTITUTIONS PUBLIQUES ET DES FAITS SOCIAUX JUSQU'A LA REVOLUTION

Par J.F. Lemarignier  1967

LETTRE SUR LES OCCUPATIONS DE L’ACADEMIE FRANCAISE  de Fénelon