PLANS DE GOUVERNEMENT

 

CONCERTÉS AVEC LE DUC DE CHEVREUSE

POUR ÊTRE PROPOSÉS AU DUC DE BOURGOGNE

(Novembre 1711.)

 

ARTICLE PREMIER.

 

PROJET POUR LE PRÉSENT.

 

1° Paix à faire.

 

— Elle doit être achetée sans mesure. Arras et Cambrai très chers à la France.

Si, par malheur extrême, la paix était impossible à tout autre prix, il faudrait sacrifier ces places.

Si elle ne se fait pas, diligence pour être prêt dès la fin de mars. Fourrages, grains, voitures ; point de rivières contre les ennemis. — Castille.

 

2° Guerre à soutenir.

 

Choix de général qui ait l'estime et la confiance, qui sache faire une excellente défensive.

Point de nouveaux maréchaux de France. Ils ne seraient ni plus habiles ni plus autorisés, et ce serait une mortification pour les bons lieutenants généraux.

Choix d'un nombre médiocre de bons lieutenants généraux unis au général.

La présence de la personne de M. le Dauphin à l'armée, pernicieuse sans un général habile et zélé ; un second général bien uni, des lieutenants généraux bien choisis : autorité pour décider d'abord, et fermeté d'homme de cinquante ans.

Éviter bataille en couvrant nos places, laissant même rendre les petites.

A toute extrémité, bataille, au hasard d'être battu, pris, tué avec gloire.

Généraux :

- Villeroy, laborieux, avec de l'ordre et de la dignité.

-— Villars, vif et peu aimé, parce qu'il méprise, etc.

-— Harcourt, malade, peu d'expérience, bon esprit.

-— Berwick, arrangé, vigilant, timide au conseil, sec, roide et homme de bien.

-— Bezons, irrésolu et borné, mais sensé et honnête homme.

-— Montesquiou....

Officiers généraux. — N'engager point tous les courtisans à continuer le service : il y a en eux dégoût, inapplication, mauvais exemples.

— Bon traitement aux vieux officiers de réputation.    

— Conseil de guerre réglé. Officiers généraux, bons à écouter, non toujours à croire : beaucoup de très médiocres.

Conseil de guerre à la Cour, doit être composé de maréchaux de France et autres gens expérimentés, qui sachent ce qu'un secrétaire d'État ne peut savoir, qui parlent librement sur les inconvénients et abus, qui forment des plans de campagne de concert avec le général chargé de l'exécution, qui donnent leurs avis pendant la campagne, qui n'empêchent pourtant pas le général de décider sans attendre leurs avis, parce qu'il est capital de profiter des moments.

 

ARTICLE II.

 

PLAN  DE REFORME APRÈS  LA PAIX.

 

I. — État militaire.

 

Corps militaire, réduit à cent cinquante mille hommes.

Jamais de guerre générale contre l'Europe. Rien à démêler avec les Anglais. Facilité de paix avec les Hollandais. On aura facilement les uns contre les autres. Alliance facile avec la moitié de l'Empire.

Peu de places. Les ouvrages et les garnisons ruinent. Une multitude de places tombent dès qu'on manque d'argent, dès qu'il vient une guerre civile.

La supériorité d'armée, qui est facile, fait tout.

Médiocre nombre de régiments, mais grands et bien disciplinés, sans aucune vénalité pour aucun prétexte ; jamais donnés à de jeunes gens sans expérience ; avec beaucoup de vieux officiers.

— Bon traitement aux soldats pour la solde, pour les vivres, pour les hôpitaux : élite d'hommes.

— Bons appointements aux colonels et aux capitaines. Ancienneté d'officiers comptée pour rien si elle est seule. Avoir soin de ne pas laisser vieillir dans le service ceux qu'on voit sans talent. Avancer les hommes d'un talent distingué.

Projet de réforme.

Écouter MM. les maréchaux de Puységur, de Harcourt, de Tallard.

Fortifications doivent être faites par les soldats et par les paysans voisins, et bornées à de médiocres garnisons.

Milices par tout le royaume, etc. Enrôlements très libres ; avec certitude de congé après cinq ans. Jamais aucune amnistie. Au lieu de l'hôtel des Invalides, petites pensions à chaque invalide dans son village.

 

II. — Ordre de dépense à la Cour.

 

Retranchement de toutes les pensions de cour non nécessaires. Modération dans les meubles, équipages, habits, tables. Exclusion de toutes les femmes inutiles. Lois somptuaires comme les Romains. Renoncement aux bâtiments et jardins. Diminution de presque tous les appointements. Cessation de tous les doubles emplois : faire résider chacun dans sa fonction. Supputation exacte des fonds pour la maison du Roi : nulle augmentation, sous aucun prétexte.

Retranchement de tout ouvrage pour le Roi : laisser fleurir les arts par les riches particuliers et par les étrangers.

 

Supputation exacte de tous les appointements des gouverneurs, lieutenants généraux, etc., des états-majors, etc. ; des pensions inévitables, des gages d'offices des parlements et autres cours, etc.

 

Supputation exacte de toutes les dettes du Roi ; distinguant celles qui portent intérêt d'avec celles qui n'en doivent point porter, comptant avec chaque rentier, avec retranchement pour les usures énormes et évidentes, avec remise de beaucoup d'autres, avec réduction générale au denier 30, avec exception de certains cas privilégiés ; nettoyant chaque compte, s'il se peut, et finissant par cote mal taillée, si on ne peut voir clair.

 

Supputation du total des fonds nécessaires pour la maison du Roi et de la Cour, de tous les appointements, gages et pensions nécessaires ; du revenu courant de toutes les dettes, de la subsistance de tout le corps militaire.

Comparaison exacte de cette dépense totale avec le total des revenus qu'on peut tirer en laissant rétablir l’agriculture, les arts utiles et le commerce.

 

 

III. — Administration intérieure du royaume.

 

1° Établissement d'assiette, qui est une petite assemblée de chaque diocèse, comme en Languedoc, où est l'évêque avec les seigneurs du pays et le tiers état, qui règle la levée des impôts suivant le cadastre, etc., et qui est subordonnée aux États de la province.

 

2° Établissement d'États particuliers dans toutes les provinces, comme en Languedoc : on n'y est pas moins soumis qu'ailleurs, on y est moins épuisé. Ces États particuliers sont composés des députés des trois États de chaque diocèse, avec pouvoir de policer, corriger, destiner les fonds, etc., écouter les représentations des députés des assiettes ; mesurer les impôts sur la richesse naturelle du pays, et du commerce qui y fleurit.

 

3° Impôts. Cessation de gabelle, grosses fermes, capitation et dîme royale. Suffisance des sommes que les États lèveraient pour payer leur part de la somme totale des charges de l'État.

       Ordre des États toujours plus soulageant que celui des fermiers du Roi ou traitants, sans l'inconvénient d'éterniser les impôts ruineux et de les rendre arbitraires. Plus de financiers. Par exemple, impôts par les États du pays sur les sels, sans gabelle.

 

4° Augmenter le nombre des gouvernements de province, en les fixant à une moindre étendue, sur laquelle un homme puisse veiller soigneusement avec le lieutenant général et le lieutenant de roi. Vingt au moins en France serait la règle du nombre des États particuliers.

— Résidence des gouverneurs et officiers. — Point d'intendants ; missi dominici seulement de temps en temps. (Cet alinéa est une addition de la main de Chevreuse)

 

5° Établissement d'États généraux.

UTILITÉ. États du royaume entier seront paisibles et affectionnés comme ceux de Languedoc, Bretagne, Bourgogne, Provence, Artois, etc.

- Conduite réglée et uniforme, pourvu que le Roi ne l'altère pas.

— Députés intéressés, par leur bien et par leurs espérances, à contenter le Roi.

— Députés intéressés à ménager leur propre pays, où leur bien se trouve, au lieu que les financiers ont intérêt de détruire pour s'enrichir.

       Députés voient de près la nature des terres et le commerce de leur province.

 

COMPOSITION : de l'évêque de chaque diocèse, d'un seigneur d'ancienne et haute noblesse, élu par les nobles ; d'un homme considérable du tiers état, élu par le tiers état.

Élection libre : nulle recommandation du Roi, qui se tournerait en ordre ; nul député perpétuel, mais capable d'être continué. Nul député ne recevra avancement du Roi, avant trois ans après sa députation finie.

 

SUPÉRIORITÉ des États généraux sur ceux des provinces. Correction des choses faites par les États des provinces, sur les plaintes et preuves.

Révision générale des comptes des États particuliers pour fonds et charges ordinaires. Délibération pour les fonds à lever par rapport aux charges extraordinaires. Entreprises de guerre contre les voisins, de navigation pour le commerce, de correction des abus naissants.

 

AUTORITÉ DES ÉTATS, par voie de représentation : Pour s'assembler tous les trois ans en telle ville fixe, à moins que le Roi n'en propose quelque autre.

       Pour continuer les délibérations aussi longtemps qu'ils le jugeront nécessaire; — Pour étendre leurs délibérations sur toutes les matières de justice, de police, de finance, de guerre, d'alliances et négociations de paix, d'agriculture, de commerce.

  Pour examiner le dénombrement du peuple fait en chaque assiette, revu par les États particuliers, et rapporté aux États généraux avec la description de chaque famille qui se ruine par sa faute, qui augmente par son travail, qui a tant et doit tant.

  Pour punir les seigneurs violents.

  Pour ne laisser aucune terre inculte : grands parcs, nouveaux ; fixer le nombre d'arpents, s'il n'y a labour : grands pays de chasse, à cause du trop de bêtes fauves, de lièvres, etc., qui gâtent les grains, vignes, prés, etc. ; abus de capitaineries.

  Pour abolir tous privilégiés, toutes lettres d'état abusives, tout commerçant d'argent sans marchandise, exceptés les banquiers nécessaires.

 

IV. — Église.

 

1° Puissance temporelle.

 Définition : autorité coactive pour faire vivre les hommes en société avec subordination, justice et honnêteté de mœurs.

       Exemples : ainsi ont vécu les Grecs, les Romains. Autorité temporelle complète dans ces exemples, sans aucune autorité pour la religion.

 

2° Puissance spirituelle.

 Définition : autorité non coactive pour enseigner la foi, administrer les sacrements, faire pratiquer les vertus évangéliques, par persuasion, pour le salut éternel.

       Exemple d'ancienne Église jusqu'à Constantin : elle faisait ses pasteurs, elle assemblait les fidèles, elle administrait, prêchait, décidait, corrigeait, excommuniait : elle faisait tout ceci sans autorité temporelle.

       Exemple d'Église protestante en France. Exemple d'Église catholique en Hollande, en Turquie.

       Église permise et autorisée dans un pays, y devrait être encore plus libre dans ses fonctions. Nos rois laissaient les protestants, en France, libres pour élire et déposer leurs pasteurs ; ils se contentaient d'envoyer des commissaires aux synodes. Le Grand Turc laisse les chrétiens libres pour élire et déposer leurs pasteurs. Mettant l'Église' en France au même état, on aurait la liberté qu'on n'a pas d'élire, déposer, assembler.

— La protection du Prince doit appuyer, faciliter, etc., non gêner et   assujettir.

 

3° Indépendance réciproque des deux puissances.

 La temporelle vient de la communauté des hommes, qu'on nomme nation. La spirituelle vient de Dieu, par la mission de son Fils et des apôtres. — La temporelle est en un sens plus ancienne : elle a reçu librement la spirituelle. La spirituelle, en un sens, est aussi plus ancienne ; le culte du Créateur existait avant les institutions des lois humaines. — Les princes ne peuvent rien sur les fonctions pastorales, de décider sur la foi, d'enseigner, d'administrer les sacrements, de faire les pasteurs, d’excommunier. Les pasteurs ne peuvent contraindre pour la police temporelle.

       Les deux puissances peuvent seulement se prêter un mutuel secours : Le Prince peut punir les novateurs contre l'Église ; les pasteurs peuvent affermir le Prince, en exhortant les sujets, en excommuniant les rebelles. — Les deux puissances, d'abord séparées pendant trois cents ans de persécution, unies et de concert, mais non confondues, depuis la paix. Elles doivent demeurer distinctes, et libres de part et d'autre dans ce concert. — Le Prince est laïque, soumis aux pasteurs pour le spirituel, comme le dernier laïque, s'il veut être chrétien. Les pasteurs sont soumis au Prince pour le temporel comme les derniers sujets : ils doivent l'exemple. — Donc l'Église peut excommunier le Prince, et le Prince peut faire mourir le pasteur. Chacun doit user de ce droit seulement à toute extrémité ; mais c'est un vrai droit.

 

4° Secours mutuel des deux puissances.

 L'Église est la mère des rois. Elle affermit leur autorité, en liant les hommes par la conscience. Elle dirige les peuples pour élire des rois selon Dieu. Elle travaille à unir les rois entre eux ; mais elle n'a aucun droit d'établir ou de déposer les rois : l'Écriture ne le dit point ; elle marque seulement leur soumission volontaire pour le spirituel.

Les rois protecteurs des canons. Protection ne dit ni décision, ni autorité sur l'Église. C'est seulement un appui pour elle contre ses ennemis et contre ses enfants rebelles. Protection est seulement un secours prêt pour suivre ses décisions, non pour les prévenir jamais : nul jugement, nulle autorité. — Comme le Prince est le maître pour le temporel comme s'il n'y avait point d'Église, l'Église est maîtresse du spirituel comme s'il n'y avait point de prince. — Le Prince ne fait qu'obéir, en protégeant les décisions. Le Prince n'est évêque du dehors qu'en ce qu'il fait exécuter extérieurement la police réglée par l'Église. Qui dit simple protecteur des canons dit un homme qui ne fait jamais aucun canon ou règle, mais qui les fait exécuter quand l'Église les a faits. — De là il suit que le Prince ne devrait jamais dire en ce genre : « Voulons, enjoignons, ordonnons»

 

5° Mélange des deux puissances.

 — Assemblées mixtes : conciles où les princes et les ambassadeurs étaient avec les évêques. Conciles particuliers de Charlemagne : capitulaires donnant tout à la fois des règles de discipline ecclésiastique et de police séculière. — Alors la chrétienté était devenue comme une république chrétienne dont le pape était le chef. Exemples : amphictyons, Provinces-Unies.

Pape devenu souverain, couronnes fiefs du Saint Siège. — Evêques devenus les premiers seigneurs, chefs du corps de chaque nation, pour élire et déposer les souverains. Exemple : Pépin, Zacharie. Exemple de Louis le Débonnaire. Exemple de Carloman ; Charlemagne. — Deux fonctions différentes dans ces évêques premiers seigneurs, qu'il ne faut pas confondre.

 

6° Race royale.

Religion chrétienne et catholique, moins ancienne que l'État, reçue librement dans l'État, mais plus ancienne que la race royale, qui a reçu et autorisé la race royale. Exemples : Pépin, Hugues Capet.

Reste ou image d'élection : rois sacrés du temps de leurs pères jusqu'à saint Louis.

Le sacre consommait tout, parce que les peuples ne voulaient qu'un roi chrétien et catholique. — Contrat et serment dont la formule reste encore. Exemples de Pierre le Cruel, de Jean sans Terre, de l'empereur Henri IV, de Frédéric II, du comte de Toulouse, albigeois ; de Henri IV, roi de France ; de Grecs en Italie du temps de Grégoire II. Exemples d'hérétiques : roi de Suède ; Jacques, roi d'Angleterre ; son grand-père Jacques Ier.

 

7° Rome.

 Centre d'unité, chef d'institution divine pour confirmer ses frères les évêques, tous les jours jusqu'à la consommation. Il faut être tous les jours dans la communion de ce siège, principalement pour la foi. — La personne du Pape, de l'aveu des ultramontains, peut devenir hérétique : alors il n'est plus pape. — Présidence au concile de Nicée par Osius, évêque de Cordoue, au nom du Pape. Légats aux autres conciles. — Nécessité d'un centre d'unité indépendant des princes particuliers et des Église? de nations.

 

8° Puissance sur le temporel :

Directe est absurde et pernicieuse ; indirecte est évidente, quoique non infaillible, quand elle est réduite à décider sur le serment par consultation ; mais la déposition des rois n'en suit nullement.

Puissance séculière pourrait, pour le temporel, dépouiller l'Église de tous fiefs, revenus, droits, autorité, honneurs, comme avant Constantin ; mais le Prince ne le pourrait, contre la forme de l'État, malgré la nation. Alors l'Église se retrouverait, comme avant les donations, libre pour le seul spirituel. : Intérêt des Églises particulières d'avoir un chef indépendant de leur prince temporel. L'indépendance du spirituel serait plus grande si on n'avait pas le temporel à ménager.

Dépouiller l’Église, ce serait renversement de la forme, comme de dégrader les seigneurs et laisser tout au tiers état ; ce serait violer la première clause du contrat et du serment du Roi.

Grosses dettes du clergé sont anéantissement d'une partie des fondations, contre leur serment, aliénations des seigneuries par usu-fruiction.

Puissance spirituelle pourrait, pour le spirituel, révoquer les concordats pour rétablir les élections canoniques, ôter tout patronage de titre spirituel, n'accorder aucune dispense des canons.

 

9° Libertés gallicanes sur le spirituel.

Rome a usé d'un pouvoir arbitraire qui troublait l'ordre des Églises particulières : expectatives, appellations frivoles, taxes odieuses, dispenses abusives.

Il faut avouer que ces entreprises sont fort diminuées.

Maintenant les entreprises viennent de la puissance séculière, non de celle de Rome. Le Roi, dans la pratique, est plus chef de l’Église que le Pape en France : libertés à l'égard du Pape, servitude vers le Roi. — Autorité du Roi sur l'Église dévolue aux juges laïques : laïques dominent les évêques. Exemple : arrêt d'Agen ; primatie de Lyon ; tiers état domine les premiers seigneurs. — Abus énormes de l'appel comme d'abus et des cas royaux, à réformer. — Abus de ne pas souffrir les conciles provinciaux ; nationaux, dangereux. — Abus de ne laisser pas les évêques concerter tout avec leur chef. —Abus de vouloir que des laïques demandent et examinent les bulles sur la foi.

Maximes schismatiques du Parlement: rois et juges ne peuvent être excommuniés ; roi nomme homme qui confère, etc. « Collatio est in fructu. » — Possessoire réel ; pétitoire chimérique.

Autrefois l’Église, sous prétexte du serment des contrats, jugeait de tout. Aujourd'hui, les laïques, sous prétexte de possessoire, jugent de tout.

La règle serait que les évêques de France se maintinssent dans leurs usages canoniques ; que le Roi les protégeât pour s'y maintenir canoniquement, selon leur désir ; que Rome les maintînt contre les usurpations de la puissance laïque ; qu'ils demeurassent subordonnés à leur chef pour le consulter sans cesse, pour les appellations, pour les corriger, déposer, etc.

Abus des assemblées du clergé (qui seraient inutiles, si le clergé ne devait rien fournir à l'État. Elles sont nouvelles). — Danger prochain de schisme par les archevêques de Paris.

 

10° Libertés gallicanes sur le temporel.

Liberté pleine pour le pur temporel a l'égard du Pape, pour le Roi et le peuple, pour le clergé même. — Utilité de l'Église de ne pouvoir aliéner sans lui.

Droit du Roi pour rejeter les bulles qui usurperaient le temporel.

Nul droit d'examiner celles qui se bornent au spirituel : les renvoyer aux évêques, qui feront à cet égard leurs fonctions.

Savoir si les biens des évêchés et abbayes, anciens fiefs donnés à l'Église à condition de fournir des troupes, en ont été depuis exempts, et si ces troupes n'étaient qu'en temps de guerre ; pour juger si le clergé doit fournir aux charges de l'État.

 

11° Moyens de réforme à procurer.

Rétablir le commerce libre des évêques avec leur chef, pour le consulter et pour être autorisés à certains actes.

Convenir avec Rome sur la procédure pour déposer les évêques. Exemple : ancien évêque de Gap.

Ne rien faire de général sans le concerter avec le nonce du Pape, et sans en faire parler à Rome par un cardinal français.

Laisser élire papes les sujets les plus éclairés et les plus pieux.

Se défier des maximes outrées des parlementaires.

Mettre quelques évêques pieux, savants et modérés dans le conseil, non pour la forme, mais pour toute affaire mixte. Se souvenir qu'ils sont tous naturellement les premiers seigneurs et conseillers d'État.

Recevoir le concile de Trente dont les principaux points sont reçus dans les ordonnances, avec des modifications pour les points purement temporels.

Faire un bureau de magistrats laïques et pieux, et de bons évêques avec le nonce, pour fixer l'appel comme d'abus.

Faire cesser toutes les exemptions de chapitres et de monastères non congrégés.

Poursuivre la réforme ou suppression des ordres peu édifiants. Exemple : Cluny, cordeliers.

Laisser aux évêques, sauf l'appel simple, liberté sur leur procédure, pour visiter, corriger, interdire, destituer les curés et tous ecclésiastiques.

Laisser aux évêques la liberté de juger eux-mêmes dans leurs officialités.

Ne nommer au Pape, pour le cardinalat, que des hommes doctes, pieux, qui résident souvent à Rome. — Leur laisser dans les conclaves entière liberté de suivre leur serment pour le plus digne.

Demander au Pape des nonces savants et zélés, point politiques et profanes.

Avoir un conseil de conscience, pour choisir des évêques pieux et capables ; le composer non par les places, mais par le mérite. Ne le faire au temps présent.

Plan pour déraciner le jansénisme. Demander à Rome une décision sur la nécessité relative et alternante. Faire accepter la Bulle par tous les évêques. Faire déposer ceux qui la refuseront. Oter les docteurs d'abbés, répétiteurs, grands vicaires, professeurs et supérieurs de séminaires imbus de jansénisme. Donner une règle de doctrine à l'Oratoire, aux bénédictins, aux chanoines réguliers.

 

V. — Noblesse.

 

1° Nobiliaire fait en chaque province sur une recherche rigoureuse. Il contiendra l'état des honneurs et des preuves certaines de chaque famille, l'état de toutes les branches dont l'ensouchement est clair, dont il est douteux, ou qui paraissent bâtardes. Chaque enfant sera enregistré.

Registre général à Paris. — Nulle branche ne sera reconnue sans enregistrement.

Inventaire en ordre alphabétique de la chambre des Comptes de Paris, du trésor des chartes, des chambres des Comptes d'ailleurs, avec distribution à chaque famille de ce qui lui appartient.

 

2° Éducation des nobles.

Cent enfants, de haute noblesse, pages du Roi, choisis d'un beau naturel: études, exercices.

Moindres nobles, ou de branches pauvres, cadets dans les régiments. Parents et amis de colonels, de capitaines.

Maison du Roi remplie des seuls nobles choisis : gardes, gendarmes, chevaux légers.

Nulle place militaire vénale. Nobles préférés.

Maîtres d'hôtel, gentilshommes ordinaires, etc., tous nobles vérifiés. Chambellans ou gentilshommes de la chambre, au lieu de valets de chambre et huissiers, et seulement valets ou garçons de la chambre pour le grossier service. Toutes autres charges plus considérables aux nobles vérifiés.

 

3° Soutien de la noblesse.

Toute maison aura un bien substitué à jamais : majorasgo d'Espagne. Pour les maisons de haute noblesse, substitution non petite ; en partie, pour médiocre noblesse.

Liberté de commercer en gros, sans déroger.

Liberté d'entrer dans la magistrature.

Mésalliances défendues aux deux sexes.

Défenses aux acquéreurs des terres des noms nobles, du nom de familles nobles subsistantes, de prendre ces noms,

Ennoblissements défendus, excepté les cas de services signalés rendus à l'État.

Ordre du Saint-Esprit pour les seules maisons distinguées par leur éclat, par leur ancienneté sans origine connue.

Ordre de Saint-Michel pour honorer les services de la bonne noblesse inférieure.

Ni l'un ni l'autre pour les militaires sans naissance proportionnée.

Nul duché au delà d'un certain nombre. Ducs de haute naissance : faveur insuffisante. Nul duc non pair. Cérémonial réglé. On attendrait une place vacante pour en obtenir. On ne serait admis que dans les États généraux.

Lettres pour marquis, comtes, vicomtes, barons, comme pour ducs.

Militaires. Honneurs séparés pour les militaires. Divers ordres de chevalerie ; avec des marques pour lieutenants généraux, maréchaux de camp, colonels, etc. — Privilèges purement honorifiques.

 

4° Bâtardise.

La déshonorer pour réprimer le vice et le scandale. Oter aux enfants bâtards des rois le rang de princes : ils ne l'avaient point. Oter à tous les autres le rang de gentilshommes, le nom et les armes, etc.

 

5° Princes étrangers.

Laisser les rangs établis de longue main.

Retrancher tout ce qui paraît douteux et contesté.

Régler que chaque cadet n'aura les honneurs que quand le Roi l'en jugera digne.

Ne donner point facilement à ces maisons charges, gouvernements, bénéfices. Ils ne croiront jamais avoir d'autre souverain que l'aîné de leur maison.

Bouillon et Rohan, les aînés ducs ; cadets, cousins, etc.

Nulle autre famille avec aucune distinction que celles des ducs.

 

VI. — Justice.

 

1° Le chancelier doit veiller sur tous les tribunaux et régler leurs bornes entre eux.

Il doit savoir les talents et la réputation de chaque magistrat principal des provinces ; procurer à chacun de l'avancement, selon ses talents, sa vertu, ses services ; faire quitter leurs charges à ceux qui les exercent mal.

Le chancelier, chef du tiers-état, devrait avoir un moindre rang, comme autrefois.

 

   Conseil,composé,non de maîtres des requêtes introduits sans mérite pour de l'argent, mais de gens choisis gratis dans tous les tribunaux du royaume ; établi pour redresser avec le chancelier tous les juges inférieurs.

Conseillers d'État envoyés de temps en temps dans les provinces pour réformer les abus.

 

3° Parlements. Oter peu à peu la paulette, etc. Charges fort diminuées ; charges à diminuer encore par réforme ; laisser pour leur vie tous les juges intègres et suffisamment instruits ; faire succéder gratis leurs enfants dignes ; attribution de gages honnêtes sur les fonds publics ; exemples d'avancement pour ceux qui feront le mieux.

Peu de juges. — Peu de lois. — Lois qui évitent les difficultés sur les testaments, les contrats de mariage, les ventes et échanges, les emprisonnements et décrets. Peu de dispositions libres.

Grand choix des premiers présidents et des procureurs généraux. Préférence des nobles aux roturiers, à mérite égal, pour les places de président et de conseiller. (Magistrats d'épée et avec l'épée au Heu de robe, quand on pourra. Idem que dessus. Noblesse à quarante ans et au delà.

 

4° Bailliages. Point de présidiaux : leurs droits attribués aux bailliages. Rétablir le droit du bailli d'épée pour y exercer sa fonction. — Lieutenant général et lieutenant criminel, nobles s'il se peut. — Nombre de conseillers réglé, non sur l'argent qu'on veut tirer, mais selon le besoin réel du public.

Nulle justice aux seigneurs particuliers, ni au Roi dans les villages de ses terres. Leur conserver seulement la justice foncière, les honneurs de paroisse, le droit de chasse, etc. Tout le reste immédiatement au bailliage voisin.

Conservation, aux seigneurs, de certains droits sur leurs vassaux pour leurs fiefs, ainsi que les droits de garde et service militaire sur leurs paysans.

Régler les droits de chasse entre les seigneurs et les vassaux.

 

5° Bureau pour la jurisprudence.

Assembler des jurisconsultes choisis, pour corriger et réunir toutes les coutumes, pour abréger la procédure, pour retrancher les procureurs, etc.

(a) Les mots mis par nous entre parenthèses ne doivent pas être de l'écriture de Fénelon.

Compte rendu au chancelier par ce bureau, dans le conseil d'État. Examen à fond pour faire un bon code.

 

6° Suppression de tribunaux. Plus de grand conseil. Plus de cour des aides. Plus de trésoriers de France. Plus d'élus.

Conseil d'État, où le Roi est toujours présent. — Autres six conseils pour toutes les affaires du royaume, comme il est marqué dans le mémoire particulier, etc. — Nulles survivances de charges, gouvernements, etc.

 

VII. — Commerce.

Liberté du commerce. Grand commerce de denrées bonnes et abondantes en France, ou des ouvrages faits par les bons ouvriers.

Commerce d'argent par usure, hors des banquiers nécessaires, sévèrement réprouvé. — Espèce de censure pour autoriser le gain de vraie mercature, non gain d'usure ; savoir le moyen dont chacun s'enrichit.

Délibérer, dans les États généraux et particuliers, s'il faut abandonner toute entrée et toute sortie du royaume.

La France assez riche, si elle vend bien ses blés, huiles, vins, toiles, etc.

Ce qu'elle achètera des Anglais et des Hollandais sont épiceries et curiosités nullement comparables : laisser liberté.

Règle constante et uniforme pour ne vexer ni chicaner jamais les étrangers, pour leur faciliter l'achat à prix modéré.

Laisser aux Hollandais le profit de leur austère frugalité et de leur travail, du péril d'avoir peu de matelots dans leurs bâtiments, de leur bonne police pour s'unir dans le commerce, de l'abondance de leurs bâtiments pour le fret.

Bureau de commerçants, que les États généraux et particuliers, aussi bien que le conseil du Roi, consultent sur toutes les dispositions générales.

Espèce de mont-de-piété pour ceux qui voudront commercer, et qui n'ont pas de quoi avancer.

Manufactures à établir, pour faire mieux que les étrangers, sans exclusion de leurs ouvrages.

Arts à faire fleurir, pour débiter, non au Roi jusqu'à ce qu'il ait payé ses dettes, mais aux étrangers et aux riches Français.

Lois somptuaires et pour chaque condition. On ruine les nobles pour enrichir les marchands par le luxe. On corrompt par ce luxe les mœurs de toute la nation. Ce luxe est plus pernicieux que le profit des modes n'est utile.

Recherche des financiers. On n'en aurait plus aucun besoin. L'espèce de censeurs désignée plus haut examinerait en détail leurs profits. Les financiers pourraient tourner leur industrie vers le commerce.

Le tout réglé par le conseil de commerce et de police du royaume, dont le rapport des résultats toujours porté au conseil d'État, où le Roi est présent.

 

Nota :

Au bas de la dernière page du manuscrit, on lit les lignes suivantes de la main du duc de Chevreuse et ajoutées vraisemblablement à la suite ou au cours d'une entrevue avec Fénelon :

« Marine médiocre, sans pousser à l'excès, proportionnée au besoin de l'État, à qui il ne convient pas d'entreprendre seul des guerres par mer contre des puissances qui y mettent toutes leurs forces.

Régler : prises, commerce de port à port, etc. Permettre à tout étranger de venir habiter en France, et y jouir de tous les privilèges des naturels et régnicoles, en déclarant son intention au greffe du bailliage royal, sur le certificat de vie et de mœurs qu'il apporterait et le serment qu'il prêterait, etc. ; le tout sans frais.

Augmenter le nombre dos gouvernements de provinces, en les fixant à une moindre étendue, sur laquelle un homme puisse veiller soigneusement avec le lieutenant général et le lieutenant de roi. Vingt au moins en France serait la règle du nombre des États particuliers. Résidence des gouverneurs et officiers. Point d'intendants ; Missi dominici seulement de temps en temps. (Ce dernier alinéa a été inséré par les éditeurs dans le paragraphe de l'Administration intérieure du royaume.