PERIGORD

FENELON MAITRE EN POESIE

ODE A L ABBE LANGERON

 

POESIES.

 

ODE A L'ABBÉ DE LANGERON.

DESCRIPTION DU PRIEURE DE CARENAC.

 

Cette Ode a été imprimée dans l'édition du Télémaque donnée en.1717 par le chevalier de Ramsai. Fénelon la composa en 1681, pendant le séjour qu’il, fit en Périgord, auprès de l'évêque de Sarlat, son oncle, qui venait  de lui résigner le prieuré de Carénac, dans le diocèse de Sarlat.

 


Montagnes 1 de qui l'audace

 Va porter jusques aux cieux

 Un front d'éternelle glace,

Soutien du séjour des dieux ;

Dessus vos têtes chenuesDSCF4779 DSCF4779   Toutes les fleurs du printemps.

A mes pieds, contre la terre,

J'entends gronder le tonnerre,

Et tomber mille torrents.

 

 

 

 

 

 

Semblables aux monts de Thrace,

Qu'un géant audacieux

Sur les autres monts entasse

Pour escalader les cieux,

Vos sommets sont des campagnes

Qui portent d'autres montagnes ;

Et s'élevant par degrés,

De leurs orgueilleuses tètes

Vont affronter les tempêtes

De tous les vents conjurés.

 

Dès que la vermeille Aurore CARENNAC 00 LE VILLAGE CARENNAC 00 LE VILLAGE  

De ses feux étincelants

Toutes ces montagnes dore,

Les tendres agneaux bêlants

Errent dans les pâturages ;

Bientôt les sombres bocages,

Plantés le long des ruisseaux,

Et que les zéphyrs agitent,

Bergers et troupeaux invitent

À dormir au bruit des eaux.

 

Mais dans ce rude paysage,

Où tout est capricieux

Et d'une beauté sauvage,

Rien ne rappelle à mes yeux

Les bords que mon fleuve arrose ;

Fleuve où jamais le vent n'ose

Les moindres flots soulever,

Où le ciel serein nous donne

Le printemps après l'automne,

Sans laisser place à l'hiver

.

CARENNAC 06 chateau des doyens CARENNAC 06 chateau des doyens   Solitude 2 où la rivière

Ne laisse entendre autre bruit

Que celui d'une onde claire

Qui tombe, écume et s'enfuit ;

Où deux îles fortunées,

De rameaux verts couronnées,

Font pour le charme des yeux

Tout ce que le coeur désire ;

Que ne puis-je sur ma lyre

Te chanter du chant des dieux

 

De Zéphyr la douce haleine,

Qui reverdit nos buissons,

Fait sur le dos de la plaine

Flotter les jaunes moissons

Dont Cérès emplit nos granges ;

Bacchus lui-même aux vendanges

Vient empourprer le raisin,

Et, du penchant des collines,

Sur les campagnes voisines

Verse des fleuves de vin.

 

Pleines de sillons dorés,

S'enfuir vallons et montagnes

Dans des lointains azurés,

Dont la bizarre figure

Est un jeu de la nature :

Sur les rives du canal,

Comme en un miroir fidèle,

L'horizon se renouvelle

Et se peint dans ce cristal

 

Avec les fruits de l'automne CARENNAC 09 LA DORDOGNE CARENNAC 09 LA DORDOGNE  

Sont les parfums du printemps,

Et la vigne se couronne

De mille festons pendants ;

Le fleuve aimant les prairies

Qui dans des îles fleuries

Ornent ses canaux divers,

Par des eaux ici dormantes,

Là rapides et bruyantes,

En baigne les tapis verts.

 

Dansant sur les violettes.

Le berger mêle sa voix

Avec le son des musettes,

Des flûtes et des hautbois.

Oiseaux, par votre ramage,

Tous soucis dans ce bocage

De tous cœurs sont effacés :

Colombes et tourterelles,

Tendres, plaintives, fidèles,

Vous seules y gémissez.

 

 Une herbe tendre et fleurie

M'offre des lits de gazon ;

Une douce rêverie

Tient mes sens et ma raison :

A ce charme je me livre,

De ce nectar je m'enivre,

Et lIMG_0810 IMG_0810  es dieux en sont jaloux.

De la cour flatteurs mensonges,

 

 

Vous ressemblez à mes songes

Trompeurs comme eux, mais moins doux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A l’abri des noirs orages

Qui vont foudroyer les grands'

 Je trouve sous ces feuillages

Un asile en tous les temps.

Là, pour commencer à vivre,

Je puise seul et sans livre

La profonde vérité ;

Puis la fable avec l'histoire

Viennent peindre à ma mémoire

 L'ingénue antiquité.

 

Des Grecs je vois le plus sage 3 ILe naugrage de Telemaque 2 ILe naugrage de Telemaque 2  

Jouet d'un indigne sort,

Tranquille dans son naufrage

Et circonspect dans le port ;

Vainqueur des vents en furie,

Pour sa sauvage patrie

Bravant les flots nuit et jour.

0 combien de mon bocage

Le calme, le frais, l'ombrage,

Méritent mieux mon amour !

 

 

 

Je goûte, loin des alarmes,DSCF5029 DSCF5029   

Des Muses l'heureux loisir ;

Rien n'expose au bruit des armes

Mon silence et mon plaisir.

Mon coeur, content de ma lyre,

A nul autre honneur n'aspire

Qu'à chanter un si doux bien.

Loin, loin, trompeuse fortune ;

Et toi, faveur importune!

Le monde entier ne m'est rien.

 

 

 

En quelque climat que j'erre, DSCF5040 DSCF5040  

Plus que tous les autres lieux

Cet heureux coin de la terre

Me plait, et rit à mes yeux ;

Là pour couronner ma vie,

La main d’une Parque amie

Filera mes plus beaux jours ;

  reposera ma cendre ;

Là Tyrcis4 viendra répandre

Les pleurs dus à nos amours


 

1 Les montagnes du Périgord, où était Fénelon lorsqu'il composa cette ode

2 Cette solitude est le prieuré de Carenac, situé sur les bords de la Dordogne

3 Ulysse.

4 Sous ce nom emprunté Fénelon désigne l’abbé de Langeron le plus cher de ses amis à qui cette ode est adressée