Sermon Profession Nouvelle Convertie

SERMON PROF. RELIG. NOUV. CONV.

 

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L' eussiez-vous cru, ma chère soeur, que l' époux des vierges vous attendoit dans cette solitude dès les jours de l' éternité ? C' étoit donc là ce qu' il vouloit de vous, lorsqu' il tiroit tant de profonds gémissemens de votre coeur, et que vous ne saviez pas encore vous-même pourquoi vous gémissiez ? ô mystère de grâce ! ô voies de Dieu dans le coeur de l' homme, inconnues à l' homme même ! ô dieu abîme de sagesse et d' amour ! Fille chrétienne, élevez votre voix ; appelez à ce spectacle les hommes et les anges. Dites dans un humble transport : ô vous tous qui craignez le seigneur, hâtez-vous de venir : vous me verrez, et vous verrez la grâce en moi. Peuples, assemblez-vous, accourez en foule ; que les extrémités de la terre l' entendent, que toute chair admire et tressaille : car il

 

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a regardé la bassesse de sa servante, et il a fait en moi de grandes choses, celui qui est puissant. Enfans de Dieu, rendez gloire à son oeuvre. Que la terre et les cieux soient pleins de son nom ; que tout en retentisse jusqu' au fond de l' abîme ; que tout s' unisse à moi pour chanter le tendre cantique, le cantique toujours nouveau des éternelles miséricordes. (...). Découvrons donc, ma chère soeur, dans les deux parties de ce discours, non à votre gloire, mais à celle de Jésus-Christ, ce qu' il a opéré dans votre conversion, et ce qu' il a préparé dans votre sacrifice. Par l' un, vous instruirez le monde des richesses de la grâce ; par l' autre, vous serez instruite vous-même de ce que la grâce doit achever en vous dans la solitude. Voilà tout le sujet de ce discours. ô esprit, ô flamme céleste, qui allez embraser la victime, soyez vous-même dans ma bouche une langue de feu. Que toutes mes paroles, comme autant de flèches ardentes, percent et enflamment les coeurs. Donnez, donnez, Seigneur, c' est ici la louange de votre grâce. Marie, mère des vierges, priez pour nous. (...). J' adore souvent en tremblant, mes frères, ce jugement qui est un abîme, ce profond conseil par lequel Dieu permet que tant d' enfans soient livrés à l' erreur. Quoi ! Cet âge si tendre, si simple, si innocent, suce avec le lait le poison ; et les parens que Dieu lui choisit, par leur tendresse aveugle causent son malheur ! Faut-il que sa docilité même le rende coupable ! ô Dieu ! Vous êtes pourtant juste. Nous

 

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savons par vous-même que vous ne haïssez rien de tout ce que vous avez fait ; que vous êtes le sauveur de tous ; que toutes vos voies sont vérité et miséricorde : à vous seul louange dans votre secret ; à nous le silence, le tremblement et l' adoration. Mais sans pénétrer trop avant, mes frères, concluons avec saint Augustin, que Dieu voit dans un coeur une malignité subtile, que nos yeux, trop accoutumés à une corruption plus grossière, souvent ne découvrent pas. Il voit l' orgueil naissant qui abuse déjà des prémices de la raison, et qui mérite qu' un tourbillon de ténèbres vienne la confondre ; l' abus des richesses, des plaisirs, des honneurs, de la santé, des grâces du corps, et même de l' esprit. C' est la vanité qui abuse des choses presque aussi vaines qu' elle. Mais abuser de la raison dans le point essentiel de la religion, c' est résister au Saint-Esprit, c' est l' éteindre, c' est lui faire injure, c' est tourner le plus grand don de Dieu contre Dieu même. Jeune créature, flattée et éblouie de vos propres rayons, ce que le monde admire en vous est ce que Dieu déteste. Sous ces jeux innocens de l' enfance se déploie déjà un sérieux funeste, une raison foible qui se croit forte ; une présomption que rien n' arrête, et qui s' élève au-dessus de tout, un amour forcené de soi-même, qui va jusqu' à l' idolâtrie. Voilà ce que Dieu juste frappe d' aveuglement. Erreur d' une ame enivrée d' elle-même, bientôt punie par mille autres erreurs ! La voyez-vous qui court après les idoles de son invention ? Ne croyez pas qu' elle soit docile, du moins elle ne l' est qu' à la flatterie. On lui dit : lisez les écritures, jugez par

 

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vous-même, préférez votre persuasion à toute autorité visible ; vous entendrez mieux le texte que l' église entière, de qui vous tenez et les sacremens et l' écriture même ; le Saint-Esprit ne manquera pas de vous inspirer par son témoignage intérieur ; vos yeux s' ouvriront ; et en lisant avec cet esprit la parole divine, vous serez comme une divinité. On le lui dit, et elle ne rougit point de le croire. Prêter l' oreille à ces paroles empoisonnées du serpent, est-ce docilité ? Non, c' est présomption ; car ce n' est pas déférer à l' autorité, c' est au contraire fouler aux pieds la plus grande autorité que la providence ait mise sous le ciel, pour s' ériger dans son propre coeur un tribunal suprême. Voilà, mes frères, le premier coup qui a donné la mort à cette jeunesse, d' ailleurs si innocente et si digne de compassion ; voilà le frein d' erreur que Dieu dans sa colère met dans la bouche des hommes superbes, pour les précipiter dans le mensonge. Telle fut, ma chère soeur, cette première démarche qui vous égara des anciennes voies, et qui mit insensiblement un mur entre vous et la vérité. Jusque là tout étoit catholique en vous ; tout, jusqu' à cette soumission même si simple que vous aviez pour les faux pasteurs. Votre baptême, quoique administré hors de l' enceinte de l' unité par des mains révoltées, étoit pourtant l' unique baptême qui partout où il se trouve appartient à l' église unique, et qui tient sa vertu non de la disposition du ministre, mais de la promesse immuable de Jésus-Christ. Vous fîtes même dans l' unité tout ce que vous fîtes sans vouloir la rompre ; vous ne commençâtes à être véritablement

 

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protestante, qu' au moment fatal où vous dîtes dans votre coeur en pleine liberté : oui, je confirme la séparation de mes pères ; et en lisant les écritures, je juge que l' église d' où nous sommes sortis ne les entend pas. à cette parole si dure et si hautaine, c' en est fait ; l' esprit, qui ne repose que sur les doux et humbles de coeur, se retire ; le lien fraternel se rompt ; la charité s' éteint ; la nuit entre de toutes parts ; l' autorité si claire dans l' évangile pour prévenir les plus subtiles distinctions, si nécessaire pour soutenir les foibles, pour arrêter les forts, pour tenir tout dans l' unité ; cette autorité sans laquelle la providence se manqueroit à elle-même pour l' instruction des simples et des ignorans, ne paroît plus qu' une tyrannie. Quels maux affreux viennent de cette source ! Confiance téméraire en l' élection divine, inspirée à chaque particulier, au préjudice de la crainte et du tremblement avec lequel on doit opérer son salut ; mépris de l' antiquité, lors même qu' on fait semblant de la suivre ; audace effrénée qui traite les pères d' esprits crédules et superstitieux, d' introducteurs de l' antechrist ; parole du sauveur, qui devoit être un lien d' éternelle concorde, devenue le jouet d' une vaine subtilité dans des disputes scandaleuses ; divins oracles livrés aux visions et aux songes impies de toutes les sectes qui se multiplient à l' infini, et qui s' entre-déchirent cruellement. ô ma bouche, n' achevez pas. Voilà ce que la réforme enfante dans le Nord depuis le dernier siècle ; fruits par lesquels on doit juger de l' arbre. Quel remède à ces maux ? Sera-ce l' écriture, mes frères ? Hé ! C' est-elle dont on abuse.

 

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Semblable à Dieu même qui l' a inspirée, bien loin d' instruire les superbes, elle leur résiste, et elle ne donne la vérité qu' aux humbles. Aussi les protestans sont-ils contraints d' avouer que l' écriture, même pour les points fondamentaux, n' est pas claire sans grâce, c' est-à-dire qu' elle ne l' est que pour les humbles, qui ont seuls l' esprit de Dieu. Ainsi, vous le voyez, mes frères, toute la certitude de leur foi et de leur intelligence des écritures n' est fondée que sur la certitude de leur humilité. étrange certitude ! Car qu' y a-t-il de plus superbe que de se croire humble ? Où sont-ils ces petits à qui les mystères sont révélés, pendant qu' ils sont cachés aux grands et aux sages du siècle ? Peut-on appeler les protestans petits, eux qui sont, par leurs principes, dans la nécessité de se croire humbles et pleins du Saint-Esprit ! Eux qui par conséquent sont si grands à leurs propres yeux ! Eux qui ne craignent point de se tromper en expliquant les écritures, quoiqu' ils assurent que l' église entière s' y est trompée pendant tant de siècles ! Remarquez encore, mes frères, que ce n' est pas précisément la parole de Dieu, mais leur propre explication, qui est le fondement de leur foi : car il n' est pas question du texte, dont tous conviennent également comme de la règle suprême, mais du vrai sens qu' il faut trouver ; et ce vrai sens chacun d' eux s' en assure par son propre discernement, qui est ainsi l' unique appui de sa foi, comme s' il avoit personnellement l' infaillibilité qu' il ôte à l' église. ô profondeur ! S' écrie saint Augustin sur sa propre expérience dans sa conversion ; ô livres inaccessibles

 

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à l' orgueil des sages du siècle ! Vous êtes le glaive à deux tranchans ; vous répandez une lumière vivifiante ; mais aussi de vous sortent les ténèbres vengeresses. Pendant que les petits tremblent dans le sein de leur mère, se défiant de tout par l' humilité, les sages, par l' orgueil, tournent tout en poison. Je vois des chrétiens, qui, comme les juifs, se croyant, dès le ventre de leur mère, la race sainte, les héritiers de l' alliance, les interprètes des oracles, vous lisent toujours avec un voile sur le coeur. Ils disent sans cesse, l' écriture, l' écriture, l' écriture ! Comme les juifs disoient, le temple, le temple, le temple ! Mais l' esprit de l' écriture, qui seul peut vivifier, et qui n' est promis qu' au corps de l' église, les a quittés quand ils l' ont quittée, et la lettre les tue. Ainsi, ma chère soeur, la lumière luisoit en vous au milieu des ténèbres, et les ténèbres ne la comprenoient point. La coutume, qui peut toujours plus qu' on ne croit sur ceux mêmes qui auroient honte de lui céder ; la confiance en vos ministres, qui, sous une apparence de liberté, tenoient tous les esprits assujettis aux finales résolutions de leurs synodes nationaux ; les liens de la chair et du sang, ah ! Tristes liens ! Liens que je ne puis nommer sans faire saigner la plus douloureuse plaie de votre coeur ! Enfin une haine héréditaire de l' église, haine qui, au seul nom de Rome, soulevoit vos entrailles, et se nourrissoit jusque dans la moelle de vos os, ne vous laissoit pas à vous-même. Vous écoutiez, non pour examiner, mais pour répondre. Un silence nonchalant, ou un ris dédaigneux, ou une réponse subtile, repoussoit les raisons dont vous ne sentiez pas encore la

 

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force. Mais pour celles qui vous accabloient, que faisoient-elles, ma chère soeur ? Je ne craindrai pas de le dire ; car je sais quelle joie je donnerai à votre coeur en racontant avec vos misères les célestes miséricordes. Rappelons donc ces larmes d' un orgueil impuissant, et irrité de son impuissance. Qui le croiroit, mes frères, que l' examen, unique fondement de cette réforme, fût néanmoins ce qu' il est plus difficile d' obtenir d' elle ? Enquérez-vous, dit-elle, diligemment des écritures. Ne penseriez-vous pas qu' elle ne dispense personne de l' examen ? Elle veut qu' on lise et qu' on juge, mais à condition que le juge demeurera toujours prévenu. Car, si vous allez de bonne foi, dans cet examen, jusqu' à mettre en doute la religion protestante, jusqu' à vous rendre entièrement neutre entre les deux églises, c' en est fait, s' écrient-ils, vous êtes perdus ; c' est à la voix de l' enchanteur que vous prêtez l' oreille. Quoi donc ! Le juge ne doit-il pas prêter l' oreille, pour savoir si ce qu' on lui dit est un enchantement ou une vérité ? ô réforme ! N' étoit-ce pas assez d' inspirer à chaque particulier la témérité de se faire juge ? Falloit-il encore, pour comble de témérité, vouloir que chacun soit juge à l' aveugle ? Vous qui préférez l' examen et le jugement du particulier à toute autorité, comment osez-vous dire qu' on se perd dès qu' on examine ? Quelle est donc cette religion qui tombe dès qu' on la regarde avec des yeux indifférens, et avec l' intégrité d' un juge qui doit se défier également de toutes les parties ? Mais la réforme sent bien qu' elle tomberoit sans ressource à ce premier ébranlement.

 

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Combien de fois ai-je éprouvé ce que je vais dire ! Vous avez convaincu sur tous les articles, vous croyez avoir tout fait ; mais vous ne faites rien, si, par un puissant attrait de piété, vous n' enlevez l' ame à elle-même, pour lui faire sentir ce que c' est que d' être humble ; si vous ne bouleversez le fond d' une conscience ; si vous ne tenez un coeur en suspens et comme en l' air au-dessus de ses préjugés. En vain à coups redoublés vous frappez ce grand arbre, dont la tige immobile monte jusqu' au ciel, et dont les racines vont se cacher dans les entrailles de la terre : vous n' en enlevez que les foibles rameaux ; encore repoussent-ils toujours. Mais attaquez ces racines vives, entrelacées, profondes ; le voilà qui tombe de son propre poids. Vous aimiez le mensonge, ma chère soeur : mais la vérité vous aimoit ; vous étiez à elle avant la création du monde, et vous deviez enfin l' aimer. Vous étiez loin de Dieu ; mais il étoit auprès et au milieu de vous : vous le fuyiez sans le vouloir entendre ; mais sa miséricorde vous poursuivoit. Son heure vient, il tonne, foudroie, écrase l' orgueil indompté ; et voilà les écailles qui tombent de ces yeux fermés à la lumière. Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? S' écrie-t-elle comme Saul. Que vois-je ? Où suis-je ? Que sont-ils devenus tous ces objets que j' ai cru voir si clairement ? Tout s' évanouit, tout m' échappe, tout ce qui m' appuyoit se fond dans mes mains. Ma vie entière n' a donc été qu' un songe, et voici mon premier réveil. Où êtes-vous, livres en qui j' ai espéré ? Et maintenant je rougis des fables que j' ai admirées. Est-ce donc là

 

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ce qui a enchanté si long-temps mon coeur ? Donc, donc jusqu' ici j' ai vécu égarée de la voie de la vérité ; le soleil de la sagesse ne s' étoit point levé sur ma tête, et la lumière de l' intelligence n' a jamais lui sur moi. Hélas ! Continue-t-elle avec saint Augustin, quand on veut se servir de guide à soi-même, peut-on manquer de tomber dans le précipice ? Seigneur, que ceux que vous n' avez pas encore mis à vos pieds en abattant leur orgueil, rient de ma foiblesse et de mon inconstance ; rien ne m' empêchera de confesser, à la gloire de votre nom, ma honte et mes erreurs. Ils diront que je n' ai jamais été humble. Et comment l' aurois-je été, moi à qui ma religion défendoit de l' être, puisque elle m' obligeoit à préférer ma persuasion au commun accord et consentement de toutes les églises ; comme si ma persuasion eût été infailliblement le témoignage du Saint-Esprit même ! Ils ajouteront que vous m' aveuglez, ô Saint-Esprit, pour punir mon orgueil. Ah ! Je le mériterois, Seigneur : mais vous le guérissez cet orgueil que vous devriez punir, et qu' ils ont nourri ; du moins vous me le faites désirer. ô père tout ensemble des lumières et des miséricordes ! ô Dieu de toute consolation ! Vous me faites entrer dans toute vérité par le seul sentiment que vous me donnez de ma misère et de mon impuissance. Qu' à jamais soit béni celui qui m' arrache à la puissance des ténèbres, pour me transférer au royaume de son fils bien-aimé ! ô vous tous qui craignez le Seigneur, venez, écoutez, et je raconterai tout ce qu' il a fait à mon ame. dès ce moment Dieu lui mit au coeur l' onction qui enseigne tout, je veux dire la consolation de se

 

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soumettre. Aimable repos, disoit-elle, réservé à ceux qui veulent être doux et humbles de coeur ! Je n' ai plus besoin de raisonnement ; voici l' enfance marquée dans l' évangile, la voie abrégée pour les pauvres d' esprit, que Jésus-Christ nomme bienheureux ; les yeux fermés, ne sentir plus que son ignorance et la bonté de Dieu, qui ne laisse jamais ses enfans dans son église un seul instant sans guide visible et assuré. Bien loin que cette voie soit difficile aux ignorans, plus on est ignorant, plus on en est capable ; car c' est l' ignorance même, pourvu qu' elle soit humble, qui y mène naturellement. En voilà assez pour supposer, sans lecture ni examen, la nécessité d' une providence perpétuelle sur l' église, conforme aux promesses. Mais quelle sera cette église ? Hé ! Peut-on hésiter un moment dans ce choix ? En peut-on écouter une autre que celle d' où toutes les autres avouent qu' elles sont sorties, et qui seule s' attribue, en vertu des promesses, la pleine autorité dont tous les humbles sentent qu' ils ont besoin pour être conduits ? Dieu lui donna aussi de goûter le mystère d' amour, qui révolte les sens grossiers et l' esprit superbe. L' écriture, disoit-elle, n' est pas moins formelle pour la présence de Jésus-Christ au sacrement, que pour l' incarnation. Tout est réel dans les dons de Dieu. Cette chair que son fils a prise réellement pour les hommes en général, par une suite naturelle du mystère, que les saints pères en ont appelée l' extension, il la donne à chacun de nous en particulier dans l' eucharistie avec la même réalité. Quiconque aime, et sent combien nous sommes aimés (car je ne parle

 

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point à ceux qui ne sentent rien) ; quiconque aime, et sent combien nous sommes aimés, n' a qu' à se taire et qu' à adorer. Qu' on ne m' importune donc plus. Ici l' amour simple prend tout à la lettre. Cette chair véritable est véritablement viande. ô mes frères, pourquoi vous efforcer de m' ôter Jésus-Christ, et de ne me laisser que sa figure ? Pourquoi tant de troubles ? Que craignez-vous ? De l' avoir lui-même, et de trouver qu' il nous a aimés jusqu' à nous donner sa propre chair ? Pourquoi dites-vous donc qu' il nous donne sa propre substance ? Nous donne-t-il ce qui n' y est pas ? La substance d' un corps, n' est-ce pas le corps même ? Pourquoi parler comme les catholiques, sans croire comme eux ? Pourquoi ne croire pas naturellement comme on parle ? C' est renverser l' autorité du texte que vous aimez tant, et en rendre le sens arbitraire, que de lui donner vos explications forcées et trop allégoriques. Si on ne prend religieusement à la lettre dans l' écriture tout ce qui peut y être pris sans contredire manifestement d' autres endroits plus clairs, on anéantit les mystères. Appliquez à la trinité et à l' incarnation le sens de figure que vous donnez avec aussi peu de fondement à l' eucharistie, le christianisme n' est plus qu' un nom ; l' écriture, qu' un amas d' allégories susceptibles de toute sorte de sens ; et l' impiété socinienne triomphe. Mais qu' il est doux de la croire cette présence de Jésus-Christ ! Qu' elle attendrit ! Qu' elle anime ! Qu' elle retient ! Par conséquent qu' elle est convenable à nos besoins, et digne de celui qui nous a tant aimés ! Tais-toi, philosophie curieuse et superbe, sagesse convaincue de folie, vils élémens d' une science terrestre !

 

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Loin de moi, chair et sang qui ne révélez point les mystères ! Bienheureux ceux qui croient sans voir ! Hommes charnels, hommes de peu de foi, répondez. De quoi doutez-vous ? Ou de la bonté, ou de la puissance de Jésus-Christ, qui, pour définir ce qu' il nous donne, dit si expressément : ceci est mon corps ? Craignez-vous que le verbe, qui s' est anéanti en se faisant chair sans cesser d' être Dieu, ne sache pas encore nous donner cette même chair sans lui rien ôter de sa gloire, en quelque indécence que l' impiété ou le hasard mette le voile corruptible sous lequel il se cache ? Votre scandale montre que vous ne connoissez pas encore ni la majesté de Jésus-Christ, également inaltérable par elle-même en tous endroits, ni l' excès de son amour. Ce fondement posé, le reste ne lui coûte plus rien. Voici ce qu' elle ajoute : la réforme, qui doit être si jalouse de conserver l' intégrité des figures, puisqu' elle réduit à deux figures tout le sacrement, n' a pas laissé d' en retrancher une en faveur de ceux qui ont de l' aversion pour le vin : comment donc ose-t-elle reprocher ce même retranchement aux catholiques, à ceux qui cherchent moins, dans l' eucharistie, les figures que Jésus-Christ lui-même, vivant, et par conséquent tout entier sous chacune des deux espèces ? Qu' est-ce qui peut manquer à celui qui reçoit tout Jésus-Christ, unique source de toutes les grâces ? Mais enfin l' intégrité du sacrement étant ainsi sauvée sous une seule espèce, de l' aveu même des protestans dans leur pratique, reste le point de discipline, pour savoir les cas où cette communion, bonne et entière en elle-même, doit être permise.

 

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Sera-ce un attentat, de faire, pour conserver le lien inviolable de l' unité en obéissant à la vraie église, qui a les promesses, ce qu' on fait chez les protestans en faveur d' une répugnance ? Après tout, si, indépendamment des préjugés et de la coutume, on prenoit la liberté de raisonner sur le baptême, comme nous faisons sur l' eucharistie, il faudroit inévitablement conclure qu' il n' y a plus sur la terre, depuis plusieurs siècles, aucune vraie église, ni visible ni invisible, et par conséquent que les promesses ont été trompeuses ; qu' enfin il ne reste plus d' autres chrétiens que les anabaptistes. Car enfin Jésus-Christ n' a pas dit formellement : donnez la coupe à toutes les nations ; comme il faut avouer que la rigueur des termes porte : endoctrinez toutes les nations, les plongeant dans l' eau. Douterai-je des promesses de Jésus-Christ à son église ? Condamnerai-je mon baptême ? Me ferai-je rebaptiser ? à dieu ne plaise ! Cette extrémité de doute fait horreur. Pourquoi donc ne serai-je pas contente, étant aussi assurée de bien communier sans la coupe, que d' avoir été bien baptisée avant l' usage de raison et sans plongement ? Les fidèles du temps des Machabées, et leurs offrandes envoyées à Jérusalem, lui mirent devant les yeux des ames justes et prédestinées, qui, pour des fautes à expier, ont encore besoin d' un secours et d' une délivrance après cette vie. Voilà, dit-elle, un des fondemens de la prière pour les morts, que l' église judaïque pratiquoit avec tant de piété avant Jésus-Christ, et que les anciens pères nous ont laissée comme un dépôt reçu par toutes les églises de l' univers de la main même des apôtres.

 

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Mais pourquoi ne demander pas leur suffrage à nos frères du ciel, comme à ceux de la terre, afin que cette partie de nos frères qui est déjà recueillie au séjour de la paix, et qui ne fait qu' une même église avec nous, s' unisse à nos voeux ; qu' ainsi nous ne formions tous ensemble qu' un seul coeur et qu' une seule voix en priant par Jésus, commun et unique médiateur ? Sans doute cette église céleste, qui est toute en joie dès qu' un seul d' entre nous fait pénitence, nous voit et nous entend dans le sein du père des lumières où elle repose. à dieu ne plaise, s' écrie-t-elle encore, que je prenne une image morte, et incapable par elle-même de toute vertu, pour le Dieu vivant et invisible que j' adore ; ni qu' elle me paroisse jamais lui ressembler ; car il est esprit, et n' a point de figure ! Seulement elle m' édifie, elle m' attendrit. Par exemple, elle met si vivement devant mes yeux Jésus nu, étendu, percé, déchiré, sanglant, expirant sur la croix, que je me sens comme transportée sur le calvaire, et je crois voir l' homme de douleurs. Saint Paul veut que j' en aie toujours une image empreinte au dedans : pourquoi n' en aurai-je pas une aussi au dehors, puisque elles sont précisément de même nature, de même usage, et que l' une est si utile à conserver l' autre ? ô aimable représentation du sauveur mourant pour mes péchés ! Je n' ai garde de la servir, car je suis jalouse de ne servir que celui dont elle est l' image : mais, pour l' amour de lui, je me sers d' elle, et je l' honore comme le livre des évangiles, qui est aussi une image des actions et des paroles du sauveur ; ou comme on salue un pasteur, devant qui on se met quelquefois à genoux, même parmi les protestans.

 

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Mais que vois-je, mes frères ? Rien n' étonne sa foi, tant elle est vive et étendue. Elle entre dans notre culte comme dans son propre héritage qu' on lui avoit enlevé. On a laissé, dit-elle, l' office dans l' ancienne langue de l' église, qui ne change jamais, et qui est la plus universelle dans toutes les nations chrétiennes : on l' a fait pour l' uniformité, pour donner à tant de peuples de diverses langues un lien de communication dans les mêmes prières, enfin pour prévenir les altérations du texte sacré, si dangereuses dans le continuel changement des langues vivantes. Peut-on appeler une langue inconnue, à laquelle on ne peut en conscience répondre (...), une langue qui est familière à la plupart des personnes instruites, et dont on met des versions fidèles dans les mains du reste du peuple ? Le latin est-il plus inconnu aux peuples chrétiens, que le françois du siècle passé ne l' est aux paysans de Gascogne et de tant d' autres provinces, qui, dans la réforme, ne chantoient les psaumes et n' avoient la bible qu' en cette langue si éloignée de la leur, et devenue si barbare ? Puis, observant nos cérémonies : est-ce donc là, ajoute-t-elle, ce que j' appelois des superstitions ? Je n' y vois que des représentations sensibles de nos mystères, pour mieux frapper les hommes attachés aux sens. C' est ne les point connoître, que de leur donner un culte sec et nu, tel qu' étoit le nôtre. Ici, quelle simplicité ! Quel goût de l' écriture ! C' est l' écriture elle-même qui, sous ces représentations, passe successivement aux yeux du peuple dans le cours de l' année : spectacle qui instruit, qui console, qui, bien loin de détourner du culte intérieur, anime ses enfans

 

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à adorer le père en esprit et en vérité. ô Dieu ! J' ai blasphémé ce que j' ignorois. Je craignois au dehors les idoles ; et, malheureuse que j' étois, je ne craignois pas au dedans mon propre esprit, dont j' étois idolâtre. J' ai abusé des connoissances que Dieu a mises dans mon esprit, comme les femmes vaines et immodestes abusent des grâces du corps. Non, je ne veux plus songer à d' autre réforme qu' à celle de moi-même. Aussitôt un torrent de larmes coule de ses yeux, et rien ne lui est doux, sinon de pleurer. ô qu' elles sont précieuses ces larmes d' un coeur contrit et humilié ! Qu' elles sont différentes, ma chère soeur, de ces larmes amères que l' orgueil avoit fait couler ! Qu' est-il devenu, mes frères, cet air de confiance ? Où sont-ils ces yeux altiers dont parle l' écriture ? Je ne vois plus que l' ame courbée, tremblante, et petite à ses propres yeux, sur qui Dieu arrête les siens avec complaisance. Elle gémit, elle se tait. Ses mains armées d' indignation frappent sa poitrine, et rien ne la console que sa foi, qui goûte la pure joie de la vérité découverte. Elle n' acquiesce point à la chair et au sang. Seigneur, vous seul savez avec quelle violence elle s' arrache à cette intime portion d' elle-même qu' elle ne peut attirer à vous. N' oubliez pas le sacrifice quelle vous en fit. Mettez devant vos yeux ses larmes, ses pénitences, ses os brisés, et ses entrailles déchirées. Faites, Seigneur, et ne tardez pas ; donnez-lui l' unique désir de son coeur. Ce qu' elle vous demande, c' est votre gloire ; rendez-lui, comme à Abraham, cette chère tête que sa foi vous a immolée. Dès lors je la vois ferme sur le rivage, tendant la

 

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main aux autres qui sortent du naufrage après elle, et épanchant sur eux un coeur sensible à la douleur commune. J' entends de tous côtés les cris de ceux qui disent : n' est-ce pas celle qui couroit après le mensonge parmi les sentiers ténébreux ? Et maintenant elle marche aux rayons de la vérité, à la lumière du Dieu de Jacob ; elle qui ravageoit le troupeau, la voilà qui évangélise. Mais tout-à-coup une voix secrète l' appelle, l' esprit la ravit, et elle marche sans savoir où tendent ses pas. Enfin se présente de loin à ses yeux la sainte montagne, où les vierges suivent l' agneau partout où il va, et où distillent nuit et jour les célestes bénédictions. Elle court, elle admire, elle ne peut rassasier ses yeux et son coeur. Que trouve-t-elle dans ce désert ? Des plantes qu' un fleuve de paix et de grâce arrose, et où fleurissent les plus odoriférantes vertus ; des yeux qui ne s' ouvrent jamais à la vanité, et qui ne daignent plus voir ce que ce soleil passager éclaire ; un silence semblable à celui de la céleste Jérusalem, qui n' est interrompu que par le cantique des noces sacrées de l' agneau ; la joie douce et innocente du paradis terrestre, avec la pénitence du premier homme, qui travaille à la sueur de son front ; la sainte pâleur du jeûne avec la sérénité de l' amour de Dieu peint sur tous les visages ; une seule volonté, qui étant inspirée d' en haut, et conduite par la règle, tient toutes les autres volontés en suspens ; un seul mouvement de tous les corps, comme s' ils n' avoient qu' une ame, une seule voix, un seul coeur ; Dieu qui se rend sensible, et s' y fait tout en tous. De là partent les saints désirs ; de là s' élancent

 

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les voeux enflammés ; de là montent jusqu' au trône de doux parfums qui apaisent la justice divine ; de là ces ames vierges, rompant leurs liens terrestres, s' envolent dans le sein de l' époux, et déjà elles entrevoient les portes éternelles qui s' ouvrent, avec la palme et la couronne qui les attendent. Hélas ! Dit-elle, voilà ce que nos pères ont voulu réformer, voilà ce qu' ils ont appelé invention de Satan ! Ce n' étoit pas tailler les branches mortes, c' étoit ravager les fleurs et les fruits ; c' étoit arracher le tronc vif jusqu' à la racine. L' état pauvre, pénitent et solitaire des anciens prophètes, de saint Jean-Baptiste, de Jésus-Christ même, de tant de vierges, de tous ces anges de la terre qui ont peuplé autrefois les déserts, n' est ni téméraire ni superstitieux. Il y a, dira-t-on, des foiblesses dans les cloîtres les plus austères. Hé ! Faut-il s' étonner de trouver dans l' homme quelque reste de l' humanité ? Mais ces imperfections, bien loin de corrompre la racine de la vertu, mettent la vertu à l' abri de l' orgueil, en humiliant les personnes qui éprouvent ainsi leur fragilité. Mais ces imperfections, qu' on méprise tant, sont plus innocentes devant Dieu que les vertus les plus éclatantes dont le monde se fait honneur. ô beauté des anciens jours, que l' église qui ne vieillit jamais montre encore à la terre après tant de siècles ! ô douce image de la céleste patrie, qui console les enfans de Dieu dans les misères de cet exil, et parmi tant de corruption ! Faut-il que je vous aie connue si tard ! Et que n' ai-je point perdu en vous ignorant ! ô mes frères qui n' êtes pas encore sortis de la nuit où j' étois comme vous ! Qui me donnera de vous

 

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montrer ce que je vois ? Seigneur, achevez votre ouvrage. Le monde n' est guère moins la région des ténèbres, que la société d' où vous m' avez tirée. J' entends la voix de l' époux qui m' appelle. Qu' elle est douce ! Elle fait tressaillir mes os humiliés ; et je m' écrie : ô Dieu, qui est semblable à vous ? Ici les jours coulent en paix. Un de ces jours purs et sereins, à l' ombre de l' époux, vaut mieux que mille dans les joies du siècle. Que reste-t-il, ma chère soeur, sinon que celui qui a commencé achève ? Réjouissez-vous donc au Seigneur, mais réjouissez-vous avec tremblement au milieu de ses dons. Qu' ils sont consolans, mais qu' ils sont terribles ! ô dons de Dieu, quel jugement préparez-vous à l' ame qui vous reçoit, et qui vous néglige ! La voilà la malédiction qui pend déjà sur la terre ingrate que la main du Seigneur cultive, et qui ne lui rend aucun fruit. Hâtez-vous donc, ma chère soeur, de fructifier ; n' attendez pas les grandes occasions, trop rares et trop éclatantes. C' est dans le détail des occasions communes, qui reviennent à tout moment, où l' orgueil n' est point préparé, où l' humeur prévient, et où la nature fatiguée s' abandonne à elle-même, que la véritable piété peut seule s' éprouver et se soutenir. Souvenez-vous que le joug de la religion n' est pas un fardeau, mais un soutien. L' obéissance, bien loin d' être une servitude, est un secours donné à notre foiblesse. On obéit à Dieu en gardant la subordination nécessaire dans toute société, et en obéissant à l' homme qui le représente. Souvent même les défauts des supérieurs nous sont plus utiles que leurs

 

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vertus ; car nous avons encore plus besoin de croix pour mourir à nous-mêmes, que de bons exemples pour être édifiés. La règle n' est qu' un simple régime de l' ame pour atteindre à la perfection évangélique dans la retraite avec plus de facilité, moins de tentations, et moins de périls. Le cloître n' est pas un lieu de captivité, mais un asile. Quel est l' homme qui regarde comme une prison la forteresse où il se retranche contre l' ennemi pour sauver sa vie ? Le soldat prêt à combattre prend-il ses armes pour un fardeau ? Ici, ma chère soeur, on n' obéit aux supérieurs que pour obéir à la règle, et à la règle que pour obéir à l' évangile. On n' obéit à cette autorité douce et charitable, que pour n' obéir pas au monde, au péché, et aux passions les plus tyranniques. Si on se dépouille des faux biens, c' est pour se revêtir de Jésus-Christ qui nous a enrichis de sa pauvreté. La virginité même du corps ne tend qu' à celle de l' esprit. Qu' il est beau de réserver avec jalousie, dans un profond recueillement, tous ses désirs et toutes ses pensées à l' époux sacré ! N' en doutez pas, ma chère soeur, la mesure de votre ferveur sera celle de votre joie. Gardez-vous donc bien de la perdre. La perfection, loin de vous surcharger, vous donnera des ailes pour voler dans les voies de Dieu. Seigneur, s' écrie saint Augustin, je ne suis à charge à moi-même qu' à cause que je ne suis pas encore assez plein de vous. Croyez, ma chère soeur, et vous recevrez selon la mesure de votre foi, commencez par la foi courageuse, et par le pur amour qui ne réserve rien de sensible. Ne craignez rien dans cette privation ;

 

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donnez, donnez à Dieu. Après tout, que lui donnerez-vous ? L' écume dont la tempête se joue, la fumée que le vent emporte, le songe que le réveil dissipe, la vanité des vanités, qui vous rendroit non-seulement coupable, mais encore malheureuse dès cette vie. ô monde, rends ici témoignage contre toi-même ; c' est de ta bouche profane que Dieu arrache la vérité. Qu' est-ce que j' entends parmi les enfans des hommes, depuis celui qui est dans les fers, jusqu' à celui qui est sur le trône, sinon les plaintes amères de coeurs oppressés ? Que n' en coûte-t-il pas pour vivre dans ton esclavage ! Tout y déchire le coeur, jusqu' à l' espérance même, par laquelle seule on y est soutenu. Mais Dieu, ma chère soeur, Dieu fidèle dans ses promesses, Dieu riche en miséricordes, Dieu immuable dans ses dons, vous donnera tout, et épuisera en vous tout désir, en se donnant à jamais lui-même. Mais vous qui vous donnez à lui, gardez-vous bien de vous reprendre. Le tentateur dira peut-être : ô que ce sacrifice est long ! Tais-toi, ô esprit impur ! Tout ce qui doit finir est court. La vie s' écoule comme l' eau ; les temps se hâtent d' arriver. Où est-il cet avenir qu' on croit donner ? Nous ne savons s' il sera heureux ou funeste ; une sombre nuit nous le cache : il n' est pas même encore à nous ; peut-être n' y sera-t-il jamais. Mais n' importe : qu' il vienne au gré de nos désirs, et avec les enchantemens les plus fabuleux ; sera-t-il plus solide et moins rapide dans sa fuite, que le présent et le passé ? Non, non ; dans le moment même que nous parlons, le voilà qui arrive ; et je ne puis dire, il arrive, sans remarquer qu' il n' est déjà plus.

 

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ô folie monstrueuse ! ô renversement de tout l' homme ! Est-ce donc là à quoi l' on tient tant ? Quoi ! Cette ombre fugitive que rien n' arrête, et qui nous entraîne avec elle, est-ce donc là ce qu' on abandonne avec tant de douleurs ? Est-ce donc là ce qu' on n' a point de honte de dire qu' on donne à Dieu ? encore un peu, ce n' est pas moi, c' est l' apôtre, c' est le Saint-Esprit qui parle : encore un peu, et celui qui doit venir viendra, il ne tardera guère : cependant tout juste vit de la foi . Vivez-en donc, ma chère soeur. Que le monde aveugle s' écrie : faut-il toujours se faire violence ? Pour nous qui croyons, qui espérons, et qui savons que notre espérance ne sera jamais confondue, nous aurions horreur d' appeler ce moment si court et si léger, des tribulations d' ici-bas. Nous disons au contraire : ah ! Quelle proportion entre les souffrances présentes et le poids immense de gloire qui va être révélé en nous ? Souffrir si peu, et régner toujours ! Elle vient, elle vient la fin ; je la vois, la voilà qui arrive. ô homme qui as enseveli ta folle espérance dans la corruption, et dont le coeur s' est nourri de mensonges, qui te délivrera à cette dernière heure ? Qui te délivrera de toi-même et de ton éternel désespoir ? Qui te délivrera des ténèbres, des pleurs, des grincemens de dents, du ver rongeur qui ne peut mourir, des flammes dévorantes, des mains du Dieu vivant, qui se nomme lui-même le Dieu des vengeances ? Pour vous, ma chère soeur, pauvre et crucifiée, vous ne tiendrez à rien ici-bas. Pendant que toute

 

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la nature écrasée frémira d' horreur, vous lèverez la tête avec confiance, voyant descendre votre rédemption. Le souverain juge, à la face duquel s' enfuiront le ciel et la terre, viendra comme époux essuyer vos larmes de ses propres mains, vous donner le baiser de paix, et vous couronner de sa gloire. Seigneur, qui mettez ces paroles de vie sur mes lèvres, et dans le coeur de votre épouse, hâtez-vous de la plonger dans les flammes de votre esprit. Que votre louange ne tarisse jamais dans sa bouche ! Que du trésor de son coeur elle l' épanche sur nous tous ! Voilà que votre main l' enlève à la terre, jusqu' au jour où vous viendrez juger toute chair. Nous ne la verrons plus ; elle s' ensevelit, comme morte, toute vivante. Mais sa vie sera cachée avec Jésus-Christ votre fils en vous, pour apparoître bientôt avec lui dans la même gloire. Du cilice et de la cendre de ce cloître, son ame s' envolera dans les joies éternelles. De cette terre de larmes, son corps sera enlevé au milieu de l' air, dans les nuées, au-devant du sauveur, pour être à jamais avec lui. Cependant nous n' entendrons plus dans ces profondes et inaccessibles retraites qu' une voix qui racontera vos merveilles. Faites, Seigneur, que cette voix console et anime les justes ; que tous ceux qui vous craignent et qui vous goûtent, courent ici après l' odeur de vos parfums ; qu' ils viennent, qu' ils entendent, et qu' ils se réjouissent en vous glorifiant. Mais faites aussi, Seigneur, que cette voix soit pour les ames dures le marteau de votre parole qui brise la pierre ; que tous ceux qui donnent encore à votre église le nom de Babylone, viennent les larmes

 

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aux yeux reconnoître ici les fruits de Sion. à eux, Seigneur, à eux la multitude de vos miséricordes. Hélas ! Jusques à quand, ô Dieu terrible dans vos conseils sur les enfans des hommes, jusques à quand frapperez-vous votre troupeau ? Après plus d' un siècle de nuit, les temps de colère et d' aveuglement ne sont-ils pas encore écoulés ? ô bon pasteur ! Voyez vos brebis errantes et dispersées sur toutes les montagnes, à la merci des loups dévorans ; courez après elles jusque aux extrémités du désert ; rapportez-les sur vos épaules, et invitez tous ceux qui vous aiment à s' en réjouir avec vous. Nous vous le demandons, Seigneur, par les entrailles de votre inépuisable miséricorde ; par les promesses de vie tant de fois renouvelées à vos enfans ; par le sacrifice de cette vierge qui vous demandera ici nuit et jour les ames de ses frères, et qui ne cessera de s' offrir à être anathême pour eux ; par les larmes de votre église, qui ne se console jamais de leur perte ; par le sang de votre fils qui coule sur eux ; enfin par l' intérêt même de votre gloire. C' est cette gloire, mes frères, qui fera la nôtre ; et que je vous souhaite, au nom du père, et du fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.