Memoire sur la souverainete de CAMBRAI

 MÉMOIRE SUR LA SOUVERAINETÉ DE CAMBRAI

 

Je crois qu'il est de mon devoir de représenter au roi, avec le zèle le plus sincère et avec le plus profond respect, les choses que j'ai pris autrefois la liberté de lui dire pour on service, sans aucun rapport à moi. Les grands bruits le paix très prochaine, que les ennemis mêmes répandent dans toute l'Europe, me font penser, par zèle pour Sa Majesté et pour le bien de l'Église de Cambrai, à un article qu'il serait très facile de faire insérer dans un traité de paix.

 

 

05 20 25 01_min 05 20 25 01_min  

Voici de quoi il s'agit.

1° Les empereurs d'Allemagne ont donné aux évêques le Cambrai la ville de Cambrai avec tout le Cambrésis, il y a près de sept cents ans. Alors, le Cambrésis était incomparablement plus étendu qu'il ne l'est maintenant.

 

2° Depuis ces anciennes donations, confirmées par les empereurs successeurs des premiers, les évêques de Cambrai ont toujours possédé la souveraineté de Cambrai et du cambrésis, en qualité de princes de l'Empire comme les autres évêques souverains d'Allemagne.

 

 

 

3° L'évêque de Cambrai avait même dans les diètes de l’empire le rang devant celui de Liège. Il n'y a guère plus de soixante ans que ce rang était encore conservé, et que les députés de l'Église de Cambrai allaient aux diètes.

 

4° Il est  vrai que les comtes de la Flandre impériale étaient avoués de l'Église de Cambrai, et que les rois d’Espagne, qui ont été comtes de Flandre, ont voulu se servir du prétexte de cette avouerie pour établir leur autorité à Cambrai; mais il est clair comme le jour, qu'un simple avoué d'une Église n'y a aucune autorité, que sous l'Église même qu'il est obligé de défendre et a laquelle il est subordonné. Il est vrai aussi que les rois de France voyant Cambrai si voisin de Paris, et si exposé aux invasions de leurs ennemis, voulurent de leur côté se faire châtelains des évêques, pour avoir aussi un prétexte d'entrer dans le gouvernement de la ville: mais chacun sait que le châtelain de l'évêque, loin d'avoir une autorité au-dessus de lui, n'était en cette qualité que son officier et son vassal.

 

S" Les choses étaient en cet état, quand Charles-Quint craignant que les Français ne s'emparassent de Cambrai, s'en empara lui-même, y bâtit une citadelle, et en donna 1c gouvernement à Philippe II, son fils, avec le titre de burgrave. Il fit cette disposition en qualité d'empereur, de qui l'évêque souverain de Cambrai relevait. Les évêques du lieu ne laissèrent pas de conserver leur souveraineté sur la ville et sur tout le pays, quoique Philippe eût un titre de défenseur de la citadelle.

 

6° Dans la suite, le duc d'Alençon, fils de France, étant venu dans les Pavs-Bas avec le titre de duc de Brabant, se saisit de la citadelle de Cambrai par une intelligence secrète avec le baron d'Inchy gui y commandait.

 

7', Le duc d'Alençon avant bientôt abandonné les Pays-Bas pour retourner en France, il laissa Balagny` dans la citadelle: celui-ci exerça une cruelle tyrannie sur la ville et sur le pays, où son nom est encore détesté.

 

8" Le comte de Fuentes, général de l'armée d'Espagne, vint l'assiéger, et prit Cambrai sur lu.

 

9" Jusque-là, les Espagnols avaient laissé l'archevêque de Cambrai en possession paisible de tous les droits de souverain; mais comme Balagnv l'en avait dépouillé par pure violence, pendant ces horribles désordres, les Espagnols commencèrent alors à faire comme Balagny, sur lequel ils avaient fait la conquête, et ils se mirent en possession de la souveraineté sur tout le Cambrésis, excepté sur la châtellenie du Câteau, qui est demeurée franche jusqu'au jour présent.

 

10° D'ailleurs ils laissèrent l'archevêque en liberté de continuer à envoyer des députés de son Église aux diètes impériales. On a continué à les y envoyer presque pendant tout le temps de la domination d'Espagne.

 

11° Cependant les archevêques représentaient très fortement au Conseil de conscience du roi d’Espagne qu’il ne pouvait point; sans une très violente injustice, se maintenir dans une usurpation manifeste. Ils montraient leur titre et leur possession claire de plus de six cents ans de cette souveraineté. Ils ajoutaient que Balagny avait été notoirement un tyran très odieux, et qu'une conquête faite par les Espagnols sur un homme qui n'avait aucun droit, ne pouvait point avoir été faite justement, au préjudice de l'Église à qui cette souveraineté appartenait avec évidence, et par conséquent que cette conquête faite sur un usurpateur était nulle à  l'égard du possesseur légitime.

 

12° Le roi d'Espagne, Philippe IV, pressé par les fortes raisons que son Conseil de conscience lui représenta, offrit enfin à l'archevêque de Cambrai de ce temps-là deux expédient pour le contenter.

 

13° Le premier était de lui rendre, sans exception, tous les droits de souveraineté sur la ville et sur le magistrat, sur le pays et sur les États, à condition que le roi d'Espagne aurait dans la citadelle et dans la ville une garnison de ses troupes, pour défendre cette place contre les Français, qui ne manqueraient pas de s'en emparer par surprise, si on n'usait pas d'une précaution si nécessaire.

 

14° Le second expédient était de dédommager l'Église de Cambrai de la souveraineté, en donnant à l'archevêque Ic, comté d'Alost, et au chapitre métropolitain la terre de Lessines, qui et d'un grand revenu.

 

i 5" L'archevêque et le chapitre refusèrent ces propositions, et, par ce refus, ils demeurèrent dépouillés de leur souveraineté, sans aucun dédommagement.

 

16°La conquête du roi survint l'an 1677. Mais comme sa Majesté est trop juste et trop pieuse pour avoir voulu  faire une conquête sur l'Église pour la dépouiller de ce qui lui appartient, il s'ensuit, avec la dernière évidence, qu'elle n’a pas pu vouloir conquérir Cambrai que sur les Espagnols; or il est visible que ceux-ci n'y avaient aucune ombre de droit  ; donc la conquête faite sur eux n'en a donné aucun de légitime au roi sur cette place. Comme les Espagnols par leur conquête n'avaient pu qu'entrer dans l'invasion de Balagny, tout de même Sa Majesté, par sa conquête, n'a fait que déposséder les Espagnols usurpateurs, sans vouloir arracher à l'Église ce qui est incontestablement à elle.

 

17° Il et vrai que Sa Majesté obtint, par le traité de paix Nimègue, une cession de Cambrai et du Cambrésis, faite par le roi d'Espagne . Mais une cession obtenue de celui qui n'y avait aucun droit est une cession visiblement nulle et insoutenable. C'est de l'Empire et de l'archevêque de Cambrai, vrai et légitime possesseur de ce droit, qu'il aurait fallu obtenir la cession. Celle du roi d'Espagne est semblable à celle par laquelle je céderais à Pierre, au préjudice de Paul, une terre appartenant à Paul, sur laquelle je n'aurais aucun droit: une telle cession et comme non avenue,

 

18° L'an 1696, je pris la liberté de proposer à Sa Majesté de se faire donner par l'Empire et par l'archevêque une véritable cession de cette souveraineté, dans le traité de paix qui devait alors terminer la guerre commencée l’an 1688. Mais, selon les apparences, cet article fut oublié quand on fit le traité de Riswick.

 

19° Il s'agirait maintenant de faire mettre cette cession dans le traité de paix dont on parle tant de tous côtés. Cette cession mettrait la conscience du roi dans un très solide repos, et elle assurerait à jamais Cambrai à la France ; sans cette cession, l'Empire pourrait un jour, dans des temps moins favorables, disputer à nos rois cette très importante place, qui est si voisine de Paris.

 

20° IL ne faudrait point mettre la chose en doute, ni la tourner en négociation, de peur que les ennemis ne voulussent la faire acheter; il suffirait qu'on demandât cet article comme un point de pure formalité, après la fin de toute négociation, quand tout le reste serait déjà conclu et arrêté par écrit.

 

21 Sa Majesté, qui a tant de zèle pour l'Église, et qui est si éloignée de la vouloir dépouiller sans quelque dédommagement, pourrait s'engager à lui en donner un, quand la paix lui fournirait des facilités pour le faire.

 

22° Pour moi, je serais ravi de signer une cession qui assurerait au roi et à l'Etat une place si nécessaire. Je ne ferais aucun scrupule de renoncer à une souveraineté temporelle, qui ne ferait que causer des désordres et des abus pour le spirituel de notre Église, comme nous en voyons d'énormes à Liège et dans les autres villes d'Allemagne

 

23° Le pape autoriserait et confirmerait sans peine ma cession, l'Empire la ferait dans le traité.

 

24° Je ne demanderais aucun avantage personnel, et si le roi accordait des revenus ou des honneurs à l'archevêché, en dédommagement, je consentirais sans peine à ne les avoir jamais pour ma personne, en sorte qu'ils fussent réserves à mes successeurs.