Richelieu et Fénelon inconciliables

   le pouvoir et l’Etat

RICHELIEU RICHELIEU  

 

 

 

 

 

L'originalité de la France ne tient pas seulement, on le sait, à ce qu'elle est l'une des plus anciennes na¬tions d'Europe mais à ce qu'elle a inventé le modèle de l'Etat ¬nation, avec ce que cela implique de concentration du pouvoir et de puissance de la politique.

Voici justement deux textes cé¬lèbres, contestés et contradictoires qui portent sur la question et viennent d'être intelligemment réédités : le «Testament po¬litique» de Richelieu et la «Lettre à Louis XIV » de Fénelon .

 

Le «Testament politique »du cardinal-duc est le plus inégal dans la forme, mais le plus impressionnant sur le fond. Il a été, comme le relève Arnaud Teyssier dans son excellente préface, en partie rédigé de la main de l'auteur et en partie dicté à ses secrétaires. Il comporte des longueurs (la réforme de l'Eglise) ou des anachronismes (la réglementa¬tion des duels, la vénalité des offices). Voltaire a détesté le texte, Montesquieu l'a admiré, deux réac¬tions parfaitement logiques tant elles illustrent les convictions de l'un et de l'autre. Impossible, cependant, de ne pas être sensible à l'extraordi¬naire vigueur du «Testament politique », à la force de ses formules, à la solidité de sa charpente intel¬lectuelle.

 

Tout Richelieu est là, avec son énergie surhumaine et son anxiété chronique, avec son autorité impérieuse et son humilité devant Louis XIII. Le principal ministre régente la France et la remet en ordre mais s'incline tris bas à l'approche du sou¬verain. Au-delà des faiblesses de la forme ou des longueurs épi-sodiques, il y a, puissamment dessinées, la construction d'un Etat fort et l'architecture d'un sursaut national.


Richelieu a en effet été toute sa vie en guerre non seulement contre les ennemis extérieurs de la France mais contre ceux qui, au sein de la nation, contestaient le pouvoir royal : le parti huguenot, l'ambition et l'avidité des Grands, l'orgueil et la désobéissance des gouverneurs de province, les prétentions immenses des Parlements, l'égoïsme et la cupidité de l'Eglise, la corruption et la violence qui gangrenaient la société. Face à ces ennemis de l'intérieur, il s'agit de restaurer l'autorité et d'imposer l'unité. Le «Testament politique» apparaît en cela comme le bréviaire du redressement français et son auteur comme l'implacable professeur d'énergie nationale. Arnaud Teyssier n'a pas tort de risquer des comparaisons avec Charles de Gaulle et Pierre Mendès France. Il aurait pu d'ailleurs élargir sa liste à Bonaparte ou au Clemenceau de la victoire. Tous par¬tageaient l'approche sacrificielle qu'incarnait Richelieu, son obsession, que l'on retrouve de chapitre en chapitre, du bien immun s'imposant face aux intérêts privés. Tout évêque qu'il oit, le cardinal-duc développe une conception rationnelle, séulière et farouche du pouvoir. Il se défend de tout despotisme, nais il mène la vie dure aux contre-pouvoirs et il réforme sur in rythme haletant. Michel Debré devait rêver de cette pourpre-là.

Fénelon se situe aux antipodes de la pensée de Richelieu.

 

                            Le cardinal et l'archevêque ont beau sortir l'un comme l'autre d'une famille de bonne noblesse provinciale,voir choisi tous deux la robe en cadets brillants et frustrés, leursstyles, leurs tons, leuSARLAT MAIRIE 01 SARLAT MAIRIE 01  rs trajectoires, leurs tempéraments les opposent. La «Lettre à Louis XIV » de Fénelon n'était pas, contrairement au «Testament politique », faite pour être publique.

 

C'est un véritable rugissement de colère contre le Roi-Soleil, d'une violence, au demeurant fort éloquente, qui laisse encore aujourd'hui pantois. Que le préceteur du duc de Bourgogne, fils du Grand Dauphin et petit-fils aîné de Louis XIV, se soit permis pareille.philippique, s'écriant même « la France entière n'est plus qu'un grand hôpital désolé et sans provision », qu'il s'aventure à parler du «bandeau fatal» qui couvre les yeux royaux, il y fallait des circonstances et un tempérament exceptionnels.

 

Dans sa subtile préface, Pierre-Eugène Leroy y voit la protection du «clanColbert»,celle aussi d'un groupe de grands seigneurs marqués par la spiritualité sulpicienne, mais encore l'indulgence de Mme de Maintenon et également les encouragements mystiques de l'étrange Mme Guyon. Guerres, disettes, famines, dépenses extravagantes et libertinages de la Cour, la situation, il est vrai, l'y poussait
II ne s'agit pas moins d'une transgression majeure, la mise en cause de l'absolutisme de Louis XIV, du culte profane de sa personnalité, de son bellicisme dévastateur, de son arrogance écla
tante. A l'époque, cela tenait de la profanation, presque du crime de lèse-majesté. En somme, le cardinal-duc élevait un monument incomparable au pouvoir royal, au creuset monarchique,
à l'unité nationale et à un Etat fort et intègre.

 

L'archevêque de Cambrai en déplorait au contraire l'outrecuidante dérive et la pente tyrannique. L'un portait Louis XIII au-dessus de lui-même.l'autre démythifiait férocement la gloire de Louis XIV
15 décembre 2011 I Le Point 2048