Fénelon à Cambrai par Claude Lancelle

Quelle est cette ville où Fénelon vient d'être nommé par le Roi comme archevêque?
C'est une place forte, militaire puissamment remparée par ses comtes évêques d'abord, par Charles Quint ensuite. C'est la clef des Pays-Bas, souvent attaquée, jamais prise et comme le dit Boileau« des Français, l'épouvantable accueil ».
Par 4 fois les Rois de France, Louis XI en 1477, Henri III et Henri IV en 1581, louis XIV en 1649 et 1657 ont tenté de s'en emparer, sans succès.
 
C'est une métropole ecclésiastique, capitale d'un immense diocèse et l'archevêque duc est un puissant personnage.
 
C'est une cité de 12.000 âmes, qui possède des libertés communales, très active avec de nombreux artisans groupés en corporations et dont la fierté est la Batiste (don à Louis XIV)
 En 1677, Louis XIV dirige lui-même, depuis le village d’Awoingt le siège de la Ville et de la Citadelle espagnole, qui capitulent en avril 1677. Tous les Cambrésiens ne sont pas heureux de cet événement: un certain nombre de familles nobles continuent à servir le Roi d'Espagne, (tel Monsieur de Carondelet), dont le frère est Chanoine à Cambrai et qui est, lui, gouverneur de la Nouvelle-Orléans.


Le Roi de France est centralisateur, il nomme un gouverneur, lui-même aux ordres de l'Intendant basé à Lille et il va restreindre les droits de différentes charges et corporations.
Le Roi de France reçoit, par ailleurs, le droit de nommer l'archevêque.
C'est ainsi qu'en 1695, Monseigneur de Fénelon succède à Monseigneur de Bryas, très aimé des Cambrésiens et qui, dit Saint Simon « fit très bien pour l'Espagne pendant le siège et aussi pour la France après ».


Cette nomination prestigieuse est cependant une désillusion pour Fénelon. Grand Seigneur, très en cour, percepteur du Duc de Bourgogne, il visait l'archevêché de Paris. Ce n'est pas du tout une disgrâce que d'être nommé dans le plus beau bénéfice du Royaume.
Durant les deux premières années, il sera plus à Paris où il garde sa fonction de gouverneur du Duc de Bourgogne à Cambrai.


Il faut attendre 1697 et la condamnation du quiétisme pour qu'il soit assigné à résidence et 1699 et la publication du Télémaque, pour qu'il soit démis de sa charge de percepteur et privé de son appartement à Versailles.


Ses premières impressions cambrésiennes ne sont guère favorables, le parler de ses fidèles lui paraît un dialecte étranger, la liturgie lui paraît plus germanique que latine, et il est choqué de voir dans les églises des trophées pris sur l'ennemi français.


Il faudra un peu de temps pour qu'une complicité s'établisse: « Ils se fient à moi, dira Fénelon, et nos bons Flamands tout grossiers qu'ils paraissent sont plus fins que je veux l'être ».
A partir de 1699, il se consacre entièrement à son diocèse. C'est un prélat européen avant la lettre, puisqu'une partie du dit Diocèse est sous domination française et l'autre sous domination espagnole. Ses mandements dénoncent les manquements à la morale, le concubinage et l'adultère. Il réprouve la fréquentation des estaminets et la violence des seigneurs. Il parcourt sans cesse son diocèse, malgré les temps troublés par les guerres incessantes. Disciple de saint Sulpice, il est convaincu de l'importance de la formation des prêtres, de la nécessité de valeurs austères et il ramène à Cambrai le séminaire fondé par Monseigneur de Bryas, les postulants y passent plusieurs mois avant d'être admis à la prêtrise.


Mais il est sensible aux malheurs de ses peuples dans les temps de guerre et n'hésite pas à écrire au Roi pour décrire la culture abandonnée, les villes et les campagnes dépeuplées. Il ouvre son palais aux pauvres gens lors de la bataille de Malplaquet, l'épisode est repris dans un tableau célèbre. C'est là aussi, sans doute, l'origine de la légende de la vache retrouvée et rendue au paysan. Les soldats replient dans une ville déjà surpeuplée, et, blessés et mourants sont recueillis dans l'hôpital St Julien et la Chapelle des Récollets.


Il publie en décembre 1703 un mandement destiné à adoucir les obligations du Carême, la guerre de Hollande privant les Cambrésiens de poissons, ceux-ci pourront manger de la viande trois fois par semaine.

 


Tout ceci ne l'empêche d'ailleurs pas de se comporter en grand seigneur. Il s'entoure des membres de sa famille et de fidèles et gardes, même à Paris, grande influence. De plus, et bien qu'exilé dans son diocèse, il reste un homme préoccupé par les problèmes politiques, c'est par le biais de visites nombreuses reçues dans son palais, d'une abondante correspondance adressée à ses amis les Ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, gendres de Colbert et bien en cours qu'il garde des contacts et reçoit des informations.


Il dispose de puissants relais et, à partir de 1702, renoue avec son élève le Duc de Bourgogne pour lequel il rédige des mémoires politiques et élabore les tables de Chaulnes.
La mort du grand Dauphin en 1711 ouvre pour lui la perspective de l'avènement de son élève, mais la mort prématuré de celui-ci est pour lui un grand chagrin et une immense déception. Soucieux du bien de l'Etat, il l'est tout autant de celui de l'église, dans sa lutte contre le jansénisme.


Lorsqu'il meurt en 1715, peu avant Louis XIV, il n'a plus « un patard en poche» (mais aucune dette) et la consternation est immense.


C'est le dernier de nos grands évêques résidents.
On ne peut dire, par contre, qu'il ait joué un grand rôle dans le développement des arts, c'est après sa mort que l'art français se développe à Cambrai.


Avec Fénelon, Cambrai passe d'une ville du Saint Empire germanique à une ville française.
 

Claude Lancelle