Sermon de l'Assomption

 

SERMON JOUR DE L'ASSOMPTION

 


Les hommes ne sauroient d' ordinaire expliquer de grandes choses qu' en beaucoup de paroles : à
peine peuvent-ils, par de longues expressions,donner une haute idée de ce qu' ils s' efforcent
de louer. Mais quand il plaît à l' esprit de Dieu d' honorer quelqu' un d' une louange, il la rend courte, simple, majestueuse : aussi est-il digne de lui de parler peu et de dire beaucoup. Il sait renfermer en deux mots les plus grands éloges.icone_maronit icone_maronit  
Veut-il louer Marie, et nous apprendre ce qu' il faut penser d' elle ? Il ne s' arrête point à toutes
les circonstances que l' esprit humain ne manqueroit pas de rechercher pour en composer une foible louange ; il va d' abord à ce qui fait toute sa grandeur. Par un seul trait, il nous dépeint tout ce que Dieu a versé de grâces dans son coeur, tout ce qu' on peut s' imaginer de grand dans les mystères

qui se sont accomplis en elle, tout ce qu' il y a deplus admirable dans le cours de sa vie. Il n' a besoin, ce divin esprit, que de nous diresimplement que Marie est la mère du fils de Dieu ; cela suffit pour nous faire entendre tout ce qu' elle est digne d' être : ... etc.
Que ne suis-je, mes frères, tout animé de cet esprit qui aide notre foiblesse, comme dit saint Paul ! Que ne puis-je, par des termes simples, mais persuasifs, vous remplir de zèle et d' admiration pour Marie ! C' est aujourd' hui que nous célébrons son triomphe ; jour où elle finit une si pure et si belle vie. C' est aujourd' hui que nous lui devons toutes nos louanges ; jour où elle commence une autre vie si heureuse, si pleine de gloire ; jour où le ciel, pour qui elle étoit faite, ravit enfin à la terre le plus précieux dépôt que le fils de Dieu y eût laissé ; jour qui, étant le dernier de ceux qu' elle a paru au monde, doit être employé par nous à admirer toutes ses vertus rassemblées. Qu' il est beau, qu' il est naturel aujourd' hui, qu' il est convenable à l' édification du peuple fidèle, de voir toute la suite de ses actions, avec la sainte mort qui les a couronnées !
Considérons donc l' usage qu' elle a fait de la vie, l' usage qu' elle a fait de la mort. Apprenons, par
son exemple, à nous détacher de la vie, pour nous préparer à mourir. Apprenons, par son exemple, à
regarder la mort comme le terme de notre bienheureuse réunion avec Jésus-Christ. Voilà, mes frères, voilà tout ce que le christianisme exige de nous. Nous en trouvons dans Marie leparfait modèle. Prions-la de nous obtenir les lumières dont nous avons besoin pour méditer avec fruit ces deux vérités.
Ave, Maria.

 

premier point.


La sainte Vierge pauvre selon sa condition, ennemie des plaisirs grossiers qui touchent les sens, obéissante, toujours humblement renfermée dans l' obscurité, accablée enfin de douleur par les tourmens de son divin fils ; sa vie n' a été qu' un long et douloureux sacrifice, qui n' a fini que par sa mort. C' est ainsi, mes frères, que Dieu détache du monde les ames dont le monde n' est pas digne, et qu' il réserve toutes pour lui. C' est ainsi que la providence conduit par un chemin de douleurs la mère même du fils de Dieu. Apprenez, chrétiens, apprenez parl' autorité de cet exemple, ce qu' il faut qu' il vous en coûte pour être arrachés à la puissance des ténèbres , comme parle saint Paul ;
pour être transférés dans le royaume du fils bien-aimé de Dieu, c' est-à-dire, pour n' être point aveuglés par l' amour des biens périssables, et pour vous rendre dignes des biens éternels.
Marie, fille de tant de rois, de tant de souverains pontifes, de tant d' illustres patriarches, comme le remarque saint Grégoire De Nazianze dans le poème qu' il a fait sur cette matière ; Marie, destinée
à être la mère du roi des rois, naquit dans un état de pauvreté et de bassesse. Elle étoit fille
de David, comme saint Paul l' assure aux hébreux ; par conséquent elle auroit dû profiter de cette illustre naissance, elle auroit dû avoir part à la succession de la maison royale. Mais, depuis le retour de la captivité de Babylone, les terres de toutes les tribus étoient confondues ; les partages faits par
Josué ne subsistoient plus ; toutes les fortunes étoient changées dans cette révolution.
Joachim et Anne, princes par leur naissance, étoient par leur fortune de pauvres gens. Aulieu de demeurer du côté de Bethléem, où la sainte Vierge alla avec saint Joseph se faire enregistrer, parce, dit l' évangile, que c' étoitleur pays, et qu' ils étoient de la famille de David ; au lieu, dis-je, de demeurer dans ces riches héritages de la tribu de Juda, ils demeuroient à Nazareth, petite ville de
Galilée, dans le territoire de la tribu de Zabulon. Là ils vivoient comme étrangers, sans biens, excepté, dit saint Jean De Damas quelques troupeaux et le profit de leur travail.
Ainsi profondément humiliée dès sa naissance, Marie fut donnée pour épouse à un charpentier. Ne
doutons point qu' en cet état elle n' ait été occupée aux travaux qui nous paroissent lesplus rudes et les plus bas. Représentons-nous (car il est beau de se représenter ce détail, que Dieu même n' a pas dédaigné de voir avec complaisance), représentons-nous donc cette auguste reine du ciel toute courbée sous la pesanteur des fardeaux qu' elle portoit ; tantôt employant ses mains pures à cultiver la terre à la sueur de son visage ; tantôt faisant elle-mêmeles habits de toute la famille, selon la
coutume des femmes juives ; tantôt allant puiser de l' eau pour tous les besoins domestiques, selon
l' exemple des plus illustres femmes des patriarches ; tantôt apprêtant les doux repas que devoient faire avec elle son père, sa mère et son chaste époux. Qu' il est beau de la voir ainsi, dans ces humbles fatigues, mortifier son corps innocent, pour faire rougir les femmes chrétiennes de tous les siècles par un exemple qui confond si bien leur vanité et leur délicatesse ! Mais cet époux, à qui elle obéit si humblement, n' est son époux que pour protéger et cacher tout ensemble sa virginité, que pour en rendre le sacrifice plus héroïque par unevictoire continuelle au milieu de l' occasion
même. Ici, mes frères, le mariage a des lois nouvelles. Ailleurs les époux, dit l' écriture, ne font plus qu' une seule chair : ici ils ne font plus qu' un seul esprit ; leur société, leur union n' arien qui ne soit élevé au-dessus des sens.
Marie, ce germe de bénédiction et de grâce, cette semence précieuse d' Abraham, d' où devoit
sortir le sauveur des nations, avoit été elle-même le fruit des prières et des larmes de ses parens
après une longue stérilité. La piété deJoachim et d' Anne rendit à Dieu ce qui venoitde lui ; cette fille unique, ils la dévouèrent au temple, et cette offrande n' étoit pas sansexemple parmi les juifs. Marie, ainsi donnée à Dieu dès sa plus tendre enfance, ne crut pas être à elle-même. Si elle s' engagea dans la suite à un époux mortel, ce ne fut que pour mieux cacher une vertu jusqu' alors inconnue. Alors, vous lesavez, mes frères, la stérilité des femmes étoit un opprobre parmi les juifs. Leur gloire étoitde multiplier le peuple de Dieu ; leur espéranceétoit de voir sortir de leur race le fils de Dieu même. Marie, qui devoit en être la mère, mais qui ne le savoit pas, se propose avec joie la honte de la stérilité pour se conserver pure. Si bientôt un ange descend du ciel pour lui annoncer les desseins du très-haut, la présence de cet esprit sous une figure humaine étonne cette vierge craintive. Cette heureuse nouvelle, qu' elle va devenir mère d' un Dieu, alarme sa pudeur. Ne croyez pas que cet honneur, qui mit à ses pieds toutes les grandeurs de l' univers, puisse changer ni la simplicité de sa vie, ni la pauvreté de son état, ni l' obscurité dont elle goûte les douceurs. Elle accouche à Béthléem dans une étable, n' ayant pas de quoi se loger : mère pauvre d' un fils qui devoit enrichir le monde
entier de sa pauvreté, selon l' expression de l' apôtre. Elle fuit avec lui en égypte, pour dérober ce précieux enfant à la persécution de l' impie Hérode ; et dans sa fuite il ne lui reste pour tout bien que son cher Jésus. Dieu la console et la rappelle. Voilà enfin son fils arrivé à cet âge où sa souveraine sagesse devoit éclater dans la région de l' ombre de la mort. Dès l' âge de douze ans il quitte sa mère pour les intérêts de son père. Bientôt il ne reconnoîtplus pour parens que ceux qui font la volonté de Dieu. Il déclare qu' heureuses sont non les entrailles qui l' ont porté, non les mamelles qui
l' ont nourri, mais les ames qui l' écoutent, et qui gardent fidèlement la parole de Dieu. Il ne souffre plus qu' on admire les plus excellentes créatures que par rapport à lui. Par cette conduite si austère à la nature, il ne permet plus à sa mère de s' attacher à lui que par les liens de la plus pure religion. Attentive à l' ordre des conseils de Dieu, comme l' évangile dit qu' elle fut dès la naissance de ce fils, elle l' écoute, elle l' observe, elle l' admire, elle ne songe qu' à s' instruire dans un humble silence. Nous ne voyons point qu' elle ait fait de miracles : et qu' il est beau à elle de s' en être abstenue ! Nous ne voyons point qu' elle ait entrepris de communiquer aux autres la sagesse dont elle étoit
pleine : que ce silence est grand, mes frères, et que Marie est admirable dans les endroits même
de sa vie les plus obscurs et les plus inconnus ! Qui auroit pu mieux qu' elle se signaler par l' instruction et par les miracles, elle qui avoit été la fidèle dépositaire de tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu, elle qui étoit devenue la mère de la sagesse souveraine et de la vérité éternelle ? Elle ne pense néanmoins qu' à obéir, à se taire et à se cacher.
Après l' enfance de son fils, il n' est plus parlé d' elle qu' autant que la vie de Jésus-Christ y engage comme par hasard les évangélistes. En cela nous reconnoissons avec plaisir combien la conduite
de Marie et le style de l' évangile viennent d' un même esprit de simplicité. Tout ce qui n' a pas un
rapport nécessaire à Jésus-Christ est supprimé. Que de vertus aimables et d' exemples touchans sont dérobés à la vue des hommes par cette conduite ! Marie mène une vie commune et cachée ;
les évangélistes nous le laissent entendre sans nous l' expliquer en détail : et en effet ce détail n' est pas nécessaire ; nous comprenons assez par son état, par ses sentimens, quelle devoit être sa vie, dure, laborieuse, soumise. Son obscurité nous instruit infiniment mieux que n' auroient pu faire les actions les plus éclatantes.

Nous avions déjà assez d' exemples devant les yeux pour savoir agir et parler ; mais il nous en falloit pour apprendre à nous taire, et à n' agir jamais sans nécessité. Trop attentifs aux choses extérieures, toujours poussés au-delà des bornes de notre état par notre vanité et par notre inquiétude, accoutumés aux occupations qui flattent les sens et qui dissipent l' esprit, parlant magnifiquement de la vertu et pratiquant mal ce que nous disons, n' avions-nous pas besoin,mes frères, d' être convaincus par cet exemple, que la vertu la plus pure est celle d' une ame qui se retranche modestement dans ses devoirs, qui fuit l' éclat, et qui aime la simplicité ?
Dans cette vie humble et retirée, Marie s' unit à Dieu de plus en plus par la ferveur de sa prière ; elle prépare déjà son coeur au sacrifice qu' elle doit faire de son fils, pour le bien du monde. Ce fils, qui entraîne les peuples dans les déserts par les charmes de sa doctrine, qui répand ses bienfaits partout où il passe, qui guérit toutes les langueurs, s' est fait lui-même notre remède pour nous guérir du péché, qui est le plus grand des maux ; il faut qu' il meure ce fils, ce cher fils ; il est notre victime ; et à la vue des tourmens cruels qu' il va souffrir, un glaivede douleur déchirera le coeur de sa mère. Marie,immobile au pied de la croix, y contemple déjà ce mystère d' ignominie. Hélas ! L' eût-elle cru ?
Marie, l' eussiez-vous pensé, qu' en donnant au monde celui qui en devoit être la joie et le bonheur, qui étoit l' attente de toutes les nations et de tous les siècles, il dût vous en coûter, sitôt après, tant de larmes et tant de douleurs ?
Si elle ne meurt pas d' accablement avec son filsqu' elle voit mourir, c' est qu' elle est réservée à une
peine plus longue et plus rude. Que de douloureuses années passées depuis, privée de son
bien-aimé ; pauvre, errante dans sa vieillessemême ; n' ayant d' autre ressource humaine que les
soins de saint Jean, qui la nourrissoit à éphèse, et exposée à toutes sortes de persécutions.
Telle fut la vie de la vierge sainte, telle fut sa préparation à la mort. Tout servit à la détacher ; Dieu rompit en elle tous les liens les plus innocens. La pauvreté, le travail, l' obscurité, le renoncement aux plaisirs sensibles, la douleur de perdre son fils, celle de lui survivre long-temps, furent son triste
partage. Ce fut par cet exercice continuel des vertus les plus pénibles et les plus austères, qu' elle arriva au dernier jour de son sacrifice : heureuse de ce que tous les momens de sa vie ont servi à lui accumuler pour celui de sa mort des trésors infinis de grâce et de gloire ! Heureux nous-mêmes, et mille fois heureux, si nous savions faire pour notre salut ce qu' elle a fait pour l' accroissement de ses mérites !
Hélas ! à quelque âge, mes frères, en quelque état que la mort nous prenne, elle nous surprend, elle nous trouve toujours dans des desseins qui supposent une longue vie. La vie, donnée uniquement pour s' y préparer, se passe entière dans un profond oubli du terme auquel elle doit aboutir. On vit comme si l' on devoit toujours vivre. L' on ne songe qu' à se flatter soi-même par toutes sortes de plaisirs, lorsque la mort arrête soudainement le cours de ces folles joies. L' homme sage à ses propres yeux, mais insensé à ceux de Dieu, se donne mille inquiétudes pour amasser des biens dont la mort le va
dépouiller. Cet autre, emporté par son ambition, perd tellement de vue sa mort, qu' il court au travers desdangers au-devant de la mort même. Tout devroitnous avertir, et tout nous amuse. Nous voyons, comme dit saint Cyprien, tomber tout le genre humain en ruine à nos propres yeux. Depuis que nous sommes nés, il s' est fait comme cent mondes nouveaux sur les ruines de celui qui nous a vus naître. Nos plus proches parens, nos amis les plus chers, tout se précipite dans le tombeau, tout s' abîme dans l' éternité. Nous sommes continuellement nous-mêmes entraînés par le torrent dans cet abîme, et nous n' y pensons pas.
La plus vive jeunesse, le plus robuste tempérament, ne sont que des ressources trompeuses.
Elles servent moins à éloigner de nous la mort, qu' à rendre sa surprise plus imprévue et plus funeste. Elle flétrit le soir, dit l' écriture, et foule aux pieds les plantes que nous avions vues fleurir le matin. Mais non-seulement quand on est sain, quand on est jeune, on se promet tout ; chose bien plus déplorable ! Ni la vieillesse, ni l' infirmité ne nous disposent presque point à la mort. Ce malade la porte presque déjà dans son sein, et cependant, dès qu' il a le moindre  intervalle, il espère qu' il échappera à la mort, ou du moins qu' elle le laissera encore languir long-temps. Ce vieillard  tremblant, accablé sous le poids des années, chagrin de se voir inutile à tout, ramasse des exemples d' heureuses vieillesses pour se flatter : il regarde un âge plus avancé que le sien, espère d' y parvenir, y parvient effectivement, regarde encore au-delà, jusqu' à ce qu' enfin ses incommodités le lassentde vivre, sans qu' il puisse jamais se résoudre à mourir de bon coeur. Ainsi on s' avance
toujours vers la fin de sa vie, sans pouvoir l' envisager de près ; et l' unique prétexte de cette
conduite si bizarre et si imprudente, est que la pensée de la mort afflige, consterne, et qu' il faut bien chercher ailleurs de quoi se consoler.
Quelle apparence, dit-on, de ne goûter aucunplaisir dans une vie d' ailleurs si traversée, que cette pensée affreuse ne vienne troubler par son amertume ? Quoi, dit-on, si on y pensoit, auroit-on le courage de pourvoir à son établissement, à ses affaires, de goûter les douceurs de la société ? Cette réflexion seule ne renverseroit-elle pas bientôt tout l' ordre du monde ? Si donc on y pense, ce n' est que par hasard, superficiellement, et on se hâte de chercher quelque amusement qui nous dégage
de cette réflexion importune.
ô folie ! Nous savons que la mort s' avance, et nous nous confions à cette misérable ressource de
fermer les yeux pour ne pas voir le coup qu' elle va nous donner. Nous ne pouvons pas ignorer que
plus nous nous attacherons à la vie, plus la fin en sera amère. Nous savons qu' il est de foi que tous
ceux qui ne vivront pas dans la vigilance chrétienne, seront surpris par une ruine prompte et
inévitable. Le fils de Dieu se sert dansl' évangile des plus sensibles comparaisons pour nous effrayer. En ce point l' expérience et la foi sont d' accord ; nous le savons, et rien ne peut guérir notre stupidité. On réserve tout à faire pour sa conversion aumoment de la mort : restitution du bien d' autrui, paiement des dettes, détachement d' un intérêt sordide,réparation de scandales, pardon d' injures, rupture de mauvais commerce, éloignement des occasions,renoncement aux habitudes, précaution contre les rechutes, confession qui répare tant d' autresconfessions mal faites ; tout cela est remis jusqu' à la dernière heure, jusqu' au derniermoment.
Considérez, chrétiens, et je vous en conjure par les entrailles de la miséricorde de Jésus-Christ, par tout ce qu' il y a de plus pressant dans l' intérêt de votre salut, d' y penser devant Dieu. Peut-être sera-ce la dernière fois ; que dis-je ? Sans doute ce sera la dernière fois pour quelqu' un parmi tant
d' auditeurs.
Qu' une crainte lâche ne vous empêche donc pas de penser souvent à la mort. Oui, chrétiens,
pensez-y souvent. Cette pensée salutaire, bienloin de vous troubler, modérera toutes vos passions, et vous servira de conseil fidèle dans tout le détail de votre conduite. Réglez vos affaires, appliquez-vous à vos besoins, conduisez vos familles, remplissez vos devoirs publics et domestiques avec l' équité, la modération et la bonne foi que doivent avoir des chrétiens qui n' ont pas oublié la nécessité de mourir ; et cette pensée sera pour vous une source de lumière, de consolation et de confiance.
Prenez garde, mes frères, que ce n' est pas la mort,mais la surprise qu' il faut craindre. Ne craignez pas, dit saint Augustin, la mort, dont votre crainte ne peut vous garantir ; maiscraignez ce qui ne peut jamais vous arriver si vous le craignez toujours.
Quelle est donc votre erreur, mon cher auditeur,si, renversant le véritable ordre des choses, vous

craignez lâchement la mort, jusqu' à n' oser penser à elle ; si vous craignez si peu la surprise, que
vous viviez dans l' oubli téméraire d' un si grand danger !
Si vous négligez une instruction si importante, si vous ne prévenez ce malheur, ce sera (oui le fils
de Dieu nous l' assure), ce sera pendant la nuit la plus obscure, c' est-à-dire lorsque votre esprit
sera le plus obscurci ; pendant votre sommeil le plus profond, lorsque vous vous croirez le plus en
sûreté, lorsque vous serez content, tranquille, assoupi dans votre péché et dans l' oubli de Dieu,
que sa justice viendra à la hâte sans vous donner le temps de recourir à sa miséricorde.

Hé ! N' est-il pas honteux que nous ne puissions penser à la mort, nous qui non-seulement avons tant d' intérêt de la prévoir, et de nous y préparer de loin, mais qui devons la regarder, avec la Sainte Vierge, comme notre bienheureuse réunion avec Jésus-Christ ? Un peu d' attention, mes frères, sur ce dernier point.
                                          Second point.


La Sainte Vierge, dès le temps qu' elle conçut son divin fils, étoit pleine de grâce : plénitude qui signifie que le Saint-Esprit avoit mis enelle toutes les vertus dans une haute perfection.
Le Seigneur étoit avec elle ; c' étoit lui qui la conduisoit, et qui régloit tous ses sentimens. Tant de précieuses bénédictions du ciel la distinguoient des plus saintes femmes, et la rendirent digne du choix de Dieu même pour le plus grand de tous ses desseins. Cette vertu si pure reçut chaque jour quelque nouvel accroissement, chaque jour, jusqu' à celui de sa mort ;plus ses épreuves furent grandes, plus sesvictoires furent agréables aux yeux de Dieu ; et la grâce ne trouvant pas dans son coeur lesobstacles qu' elle rencontre dans le nôtre, y fitun progrès sans interruption.
L' ame fidèle ne peut regarder la vie présente que comme un court passage à une meilleure. Elle doit,dit saint Augustin, supporter patiemment les misères de l' une, et soupirer avec ferveur après les
délices de l' autre.
Si cette disposition doit être celle de toute amechrétienne, quelle devoit être, mes frères, celle de
cette Vierge épouse du Saint-Esprit, de cette créature si noble et si sainte, qui redoubloit sans cesse l' ardeur de sa charité par celle de ses gémissemens et de ses prières ? Saint Luc assure que les apôtres ayant perdu de vue Jésus-Christ qui montoit au ciel, ils se retirèrent à Jérusalem, où ils persévéroient tous dans un même esprit en prières avec Marie mère de Jésus-Christ : prières où
Marie tâchoit de recouvrer par une vive foi ce que ses sens venoient de perdre : prières où elle se
consoloit par le doux souvenir de tout ce que son cher fils avoit fait de plus tendre pour elle :prières où elle lui parloit, quoiqu' elle ne fût plus en état de le voir : prières où elle lui expliquoit, plus par ses larmes que par ses paroles, son amour, sa douleur, ses désirs de finir une absence si triste et si rude. je désire de rompre mes liens, dit saint Paul ; il me tarde d' être délivré de la prison de ce
corps mortel
, pour entrer dans la parfaiteliberté des enfans de Dieu , et pour m' unir à Jésus-Christ. Il est lui seul toute ma vie, et la mort est pour moi un gain inestimable.

 Hé ! N' est-ce pas, mes frères, ce que Marie disoit sans doute chaque jour à son bien-aimé ?
Oui, il me semble que je l' entends y ajouter, dans l' amertume de son coeur, ces paroles touchantes : hé ! N' y a-t-il pas assez de temps quemon ame languit dans les liens qui la tiennent
ici-bas captive ?
Hélas ! Que pouvoit être la terre pour elle, pour elle, dis-je, qui avoit déjà au ciel l' objet de toute sa tendresse ? Qu' est-ce qui eût été capable de la consoler dans ce lieu d' exil, dans cette vallée de larmes ? N' étoit-elle pas violemment retenue ici-bas, pendant que son coeur s' élevoit vers son fils ? Elle n' avoitplus rien en ce monde, Jésus l' avoit quittée. Ce n' étoient point les dangers dont elle étoit
environnée, ni les persécutions que souffroit déjà l' église naissante, qui la dégoûtoient de la vie ;
ce n' étoit point la gloire et le triomphe qui lui étoit préparé au ciel, qui lui faisoit désirer la mort :

c' étoit uniquement Jésus-Christ, dont elle ne pouvoit sans douleur se voir séparée.
Toute sa vie n' étoit, selon les termes desaint Augustin, qu' un désir perpétuel, qu' un long gémissement ; et la seule volonté souveraine du fils pouvoit calmer les impatiences toutes saintes
de la mère.
Ne pensez pas, mes frères, que ces grandssentimens ne conviennent qu' à la vierge sainte ; il ne faut qu' aimer Jésus-Christ pour désirer d' être éternellement avec lui ; et si nous avions de la foi (chose honteuse) il ne faudroit que nous aimer nous-mêmes, pour avoir impatience de jouir avec lui de sa gloire et de son royaume.
Il n' appartient, dit saint Cyprien, de craindre la mort qu' à ceux qui n' aiment point le Seigneur, et
qui ne veulent point aller à lui ; qu' à ceux qui manquent de foi et d' espérance, qu' à ceux qui ne
sont point persuadés que nous régnerons avec lui.
Et en effet, mes frères, faisons-nous justice. En vérité, regarderions-nous le désir de la mort comme une spiritualité raffinée (car c' est le langage du monde), si nous regardions la mort comme notre foi nous oblige de la regarder ? Telle est notre foiblesse, que nous comptons pour beaucoup dans la vie chrétienne de nous préparer et de nous résoudre à la mort lorsque nous ne pouvons plus l' éviter. Mais attendre la mort comme notre bienheureuse délivrance des dangers infinis de cette vie, mais regarder la mortcomme l' accomplissement de nos espérances ; c' est ce que le christianisme nous enseigne le plus clairement et le plus fortement, et c' estnéanmoins ce que nous ignorons comme si nousn' avions jamais été chrétiens.
Que ceux qui ne connoissent et n' espèrent rien au-delà de cette vie misérable, y soient attachés,
c' est un effet naturel de leur amour-propre. Maisque des chrétiens à qui Dieu a fait des promesses si grandes et si précieuses pour la vie future, comme parle saint Pierre ; à qui sontouvertes les voies à une vie nouvelle : mais quedes chrétiens qui doivent regarder ce mondecomme un lieu d' exil, de misère et de tentation, manquent de courage pour se détacher desamusemens de leur pélerinage, et pour soupirer après les biens immenses de leur patrie, c' est unebassesse d' ame qui dément et qui déshonore leur foi. Quoi, des hommes destinés à jouir avecJésus-Christ d' une gloire et d' une félicité
éternelles, ne se laisseront jamais toucher à tant de grandeurs qui leur sont préparées !
Abrutis, stupides, ensevelis dans l' amour des choses sensibles, ils feront leur capital des biens grossiers, fragiles, imaginaires de cette vie ; et le paradis ne sera que leur pis-aller !
Quoi, ce ne sera que dans l' extrémité d' une maladie incurable qu' ils voudront bien accepter,
faute de mieux, le royaume du ciel, parce qu' ils sentiront alors que tout ce qui les amusoit sur la
terre leur échappe pour jamais ! Est-ce ainsi donc que nous demandons chaque jour à Dieu notre
père l' avènement de son règne, que nous craignons néanmoins, et que nous voulons toujours
différer ? Quelle mauvaise foi ! Quelle espèce de division dans notre prière ! Est-ce ainsi que nous
préférons le ciel à la terre, l' éternité aux choses présentes, Jésus-Christ au monde ? Est-ce ainsi que nous l' aimons ce sauveur si aimable,nous qui voudrions vivre toujours d' une vie
animale, et ne le voir jamais ? Son royaume, que nous devrions acheter par tant de soupirs, par
tant de travaux et par tant de victoires, et que nous n' achèterions jamais trop cher, nous sera-t-il donné à si vil prix ? Nous sera-t-il donné pour rien ? Malgré nous-mêmes ?
Faudra-t-il qu' il nous force à le recevoir, nous qui craignons d' en jouir trop tôt, et qui voudrions n' en jouir jamais, pourvu qu' il nouslaissât croupir dans cette boue dont nous sommes comme ensorcelés ? Non, non, ce don céleste seroit prodigué et avili, si Dieu l' accordoit à des ames si indignes de le recevoir. Peut-ilmoins demander de nous, que de vouloir que nous désirions les biens inestimables qu' il nous veut donner ; et pouvons-nous les désirer, sans comprendre que c' est la mort, comme ditsaint Paul, qui nous revêtira de toutes choses ?
Il faut donc que ce saint devoir prévale sincèrement sur toutes les passions qui nous attachent en cette vie ; en un mot, cette vien' étant faite que pour l' autre, nous devons êtreici-bas toujours comme en suspens aux approches de l' éternité, toujours dans l' espérance, et par conséquent toujours dans le désir qu' elle s' ouvre pour nous recevoir, comme ayant tous nos biens dans un autre lieu que celui où nous sommes. Cette disposition, dit saint Augustin, est siessentielle au christianisme, que sans elle tout leplan de la religion se trouve renversé.
Donnez-moi, dit-il, un chrétien qui soit prêt à secontenter de jouir éternellement des plaisirs innocens de cette vie, pourvu que Dieu lui donne l' immortalité ; quoiqu' il se propose de vivredans une parfaite innocence, ce seul renoncement au royaume céleste le rend néanmoins criminel. Faut-il s' en étonner ? Supposé la foi, peut-il sans impiété et sans folie préférer la jouissance des créatures à celle de Dieu même ; la honte de s' oublier soi-même ici-bas, à la gloire infinie de régner avec Jésus-Christ ?
Aussi voyons-nous que les apôtres et les premiers chrétiens, prenant toutes ces vérités à la lettre,
fondoient toute leur joie et toute leurconsolation sur leur espérance. Ils se réjouissoient dans l' espérance de régner éternellement avecJésus-Christ qui essuieroit toutes leurs larmes. Ils vivoient, dit saint Paul, dans une humble et douce attente deleur espérance bienheureuse, et de l' avènement du grand Dieu de gloire .
Cet apôtre veut-il relever le courage des fidèles, et leur montrer jusqu' où va le bonheur de leur
condition ; tantôt il leur dit : nous serons élevés sur les nues au-devant de Jésus-Christ ; alors nous seronsà jamais avec le Seigneur. Consolez-vous donc lesuns les autres, en vous entretenant de cesaimables vérités . Tantôt il s' écrie : si vous vivez de la vie ressuscitée de Jésus-Christ, ne cherchez plus que ce qui est au ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu ;n' aimez, ne goûtez plus que les biens d' en haut ; ne comptez plus pour rien ceux d' ici-bas. Tantôt il leur promet que leur délivrance est prochaine : encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra ;
cependant il faut que tout juste vive de la foi
.
Ainsi vous voyez, mes frères, que, bien loin de craindre la mort, ces chrétiens si dignes de l' éternité avoient besoin qu' on leur promît qu' ils ne seroient pas encore long-temps sur la terre éloignés du sauveur. C' étoit donc cette douce espérance qui les rendoit patiens dans les
tribulations, intrépides dans les dangers, et qui leur faisoit chanter des cantiques de joie et
d' actions de grâces dans les plus horribles
tourmens.
Nous voyons par les saintes lettres, que, suivantles paroles du fils de Dieu, qui avoit mêlé à dessein
dans ses prédictions la ruine prochaine de Jérusalem avec celle de l' univers, ces premiers fidèles croyoient communément (et cette croyance les consoloit) que le monde finiroit bientôt. La brièveté de la vie, la mort prompte, le jugement du monde entier, où Jésus-Christ accomplira son règne et triomphera de tous ses ennemis ; ces objets, dis-je, qui effraient nos lâches chrétiens qui n' ont pas le courage de les regarder fixement, étoient pour ceux-ci des objets de ferveur et de confiance. Nous apprenons mêmede saint Augustin, qu' il n' y avoit que leursoumission aux volontés de Dieu, leur désir de souffrir pour sa gloire et pour perpétuer l' église en multipliant les fidèles, qui les empêchât de seprocurer eux-mêmes la mort. Ils attendoient encore plus impatiemment le second avènement du fils de Dieu, que les patriarches et les prophètes mêmes n' avoient attendu le premier. Bon dieu, à quoi sommes-nous réduits ? Où est notre religion ? Et qu' est donc devenue cette foi que nous avons reçuecomme une précieuse succession de ces premiershéros du christianisme ? Foi si vive, si
courageuse en eux ; foi si languissante, si étouffée en nous, par un vil intérêt, par des plaisirs grossiers et honteux, par des honneursvains et chimériques !
Mais, dira-t-on, la Sainte Vierge, que vousproposez ici pour modèle, étoit pleine de grâce : ainsi, en souhaitant de mourir, elle soupiroit après un bonheur assuré. Marie étoit pleine de grâce, il est vrai, et elle se confirmoit tous les jours ; cependant, au lieu de craindre comme nous la mort, elle ne craignoit que la vie : la vie,dis-je, dont elle faisoit un usage si innocent ; la vie dont elle ménageoit tousles momens pour l' accroissement de ses mérites, elle en souhaitoit pourtant la fin : tant elle avoit
peur de s' y égarer des voies de Dieu !
Et nous, qui sommes si vides de grâce, et si abusés des folies trompeuses du monde, si esclaves
de la chair et du sang, si déraisonnables pour nos intérêts, si accoutumés au mensonge et à
l' artifice, si indiscrets et si malins dans nos paroles, si vains et si déréglés dans notre conduite, si fragiles dans les tentations, si téméraires dans les dangers, si inconstans et si infidèles dans nos meilleures résolutions, nous ne craindrons pas d' abuser de la vie, nous oserons en souhaiter la durée ; et nous craindrons au contraire la fin de ces épreuves continuelles où notre salut est si terriblement hasardé !
Mais, dira-t-on encore une fois, Marie n' avoit pas besoin de faire pénitence ; la mort ne pouvoit que
couronner toutes ses vertus. Si nous étions aussi prêts à mourir qu' elle, nous voudrions comme elle
mourir ; mais, dans la corruption où nous sommes,nous avons besoin de délai pour expier nos
fautes ; il n' appartient qu' aux innocens de sehâter de comparoître devant leur juge.
Voilà, mes frères, tout ce que les hommes, aveuglés par l' amour de la vie, peuvent dire de plus plausible pour se justifier. à cela jeréponds deux choses.


1  Vous n' êtes point, dites-vous, dans lesdispositions de Marie. J' en conviens, mes frères, j' en conviens ; et c' est cette opposition extrême entre son état et le vôtre, que je déplore.
Vivez comme elle, et vous serez dignes comme elle d' aspirer au bonheur d' une sainte mort. Si vous voulez cesser de craindre la mort, ôtez la cause funeste de cette crainte. Vivez comme ne comptant point sur la vie.
Usez de ce monde, c' est saint Paul qui vousparle, usez de ce monde comme n' en usant point ;
car ce monde,
qui vous enchante, n' est qu' une figure qui passe, et qui passe dans lemoment qu' on en croit jouir.
Mais ne vous trompez point vous-mêmes, et n' espérez pas tromper Dieu. N' alléguez point vos
propres péchés pour vous autoriser dans votre attachement aux choses présentes. Quoi, parce que
vous avez jusqu' ici abusé de la vie, vous prétendez que c' est une bonne raison de désirer encore de la prolonger ! Tout au contraire, vousdevez être ennuyés de vivre, puisque la vie vous expose chaque jour à perdre Dieu éternellement.
Tandis que vous vivrez amusés par vos sens, enivrés des choses les plus frivoles, vous ne serez
jamais prêts à mourir, et vous demanderez toujours à vivre, fondés sur des propos vagues de pénitence. Mais renversez cet ordre : au lieu de faire dépendre vos dispositions pour la mort, de votre attachement à la vie, faites toutau contraire, comme il est juste, dépendre votre détachement de la vie d' un sincère désir de la mort. Dites désormais en vous-mêmes : c' estau-delà de cette vie que sont tous nos vrais biens ; hâtons-nous donc d' y parvenir. Soupirons, gémissons, comme dit saint Paul, de nous voir  encore sujets malgré nous à la vanité et auxpassions du siècle. Le meilleur
moyen de nous rendre dignes de la gloire d' une autre vie, c' est de mépriser et de sacrifier sans
réserve tout ce qui nous amuse dans celle-ci.


2 Remarquez, dit saint Augustin, combien vos projets de pénitence ont été jusqu' ici mal exécutés. Combien de fois environnés des douleurs de la mort , comme parle le roi-prophète, avez-vous demandé à Dieu quelque temps et quelque terme, afin que l' avenir réparâtle passé ! Mais ce temps demandé et accordé uniquement pour repasser toutes vos années dans l' amertume de votre coeur, pour pleurer vosiniquités, à quoi ne l' avez-vous pas prodiguéfollement ! Bien loin de vous délivrer de voschaînes, vous n' avez fait que les appesantir.
Chaque jour n' a servi qu' à fortifier la tyrannie de vos habitudes criminelles, qu' à augmenter l' impénitence de votre coeur, qu' à abuser du temps, de la santé, des biens, et de la grâce même. Chaque jour a augmenté vos comptes, ensorte que vous êtes devenus insolvables.
Ici, chrétiens, j' interpelle votre conscience ; jene veux point d' autre juge que vous. êtes-vous
maintenant mieux préparés à comparoître devant Dieu que vous ne l' étiez autrefois ? Si vous l' êtes,
profitez de ce temps ; demandez à Dieu que sa miséricorde, pour prévenir votre inconstance, se
hâte de vous enlever du milieu des iniquités. Si vous ne l' êtes pas, rendez-vous au moins, rendez-vous à une expérience si convaincante.
Concluez, dit saint Augustin, qu' en demandantde vivre, vous demandez plutôt de continuer vos infidélités que d' en commencer la réparation.
De bonne foi, concluez donc que c' est plutôtl' amour des plaisirs de la vie, que celui des austérités de la pénitence, qui vous éloigne de lamort ; et si vous manquez de courage pour aller jusqu' où votre foi vous appelle, du moins soupirez, rougissez de votre foiblesse ; du moins avouez avec confusion que vous n' avez pas lessentimens que votre religion vous inspire.
Plus vous craignez, mes frères, de quitter ce monde, plus il convient à votre salut que vous le
quittiez promptement. Plus vous l' aimez, plus ilvous est nuisible ; car rien ne prouve tant que vos
lâches dispositions, combien la vie est un danger, combien la mort seroit une grâce pour vous.
ô aimable sauveur, qui, après nous avoir apprisà vivre, n' avez pas dédaigné de nous apprendre
aussi à mourir, nous vous conjurons, par lesdouleurs de votre mort, de nous faire supporter
la nôtre avec une humble patience, et de changer cette peine affreuse qui est imposée à tout le
genre humain, en un sacrifice plein de joie et de zèle. Oui, bon Jésus, soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes à vous. En vivant, hélas ! Nous n' y sommes qu' avec la triste crainte de n' y être plus un moment après. Mais en mourant, nous serons à vous pour jamais, et
vous serez aussi tout à nous, pourvu que ledernier soupir de notre vie soit un soupir d' amour
pour vous, et qu' ainsi la nature se perde dans la grâce. Ainsi soit-il.