Portrait de fenelon

Chronique sur l’iconographie fénelonienne au regard de l’actualité du marché de l’art.

Le portrait de Bourdeille intègre une nouvelle collection particulière

 

Portrait de fenelon Portrait de fenelon  

Fig. 1 : Attribué à Bailleul, Portrait de François de Salignac de la Mothe-Fénelon dit Fénelon, après 1718 (?), collection particulière.

Exp. Univ. 1878, n°239, à M. le marquis de Bourdeilles à Paris ;

Exp. Fénelon Périgueux 1951, n°A, coll. de M. le baron de Hennin au château de Bourdeilles

Ancienne collection de Madame la baronne de Hennin de Boussu-Walcourt à Wolverthem, Belgique.

 

Les observateurs ont peut-être remarqué qu'un beau portrait de Monsieur de Cambrai est apparu dernièrement sur le marché de l'art parisien, à l'occasion d'une vente aux enchères publiques, organisée par une célèbre maison de la capitale.

 

Ce tableau est intéressant à bien des égards et relance les intéressantes questions soulevées par l'iconographie fénelonienne, spécialement dans le domaine des peintures à l'huile, sur lesquelles Jean SECRET[1], Michel SOUBEYRAN[2] et René FAILLE[3] ont déjà pu se pencher et que nous proposons d’aborder de nouveau, par l’étude de cet intéressant portrait.

 

I. Examen du tableau et de son cadre

 

Ce portrait se présente sous la forme d'une huile sur toile, de format 78cm x 63cm. Fénelon est représenté en buste, de trois quarts à droite. Il est vêtu d'un rochet et du traditionnel camail bleu doublé de soie rouge, caractéristique des évêques et archevêques de son époque, sur lequel se détache sa croix pectorale. Sa main droite est posée sur un ouvrage à la reliure dorée.

 

L’huile sur toile n’est pas signée, mais sa qualité interpelle. Nous retrouvons la physionomie singulière de Fénelon, que nous connaissons grâce aux autres portraits connus de l’archevêque et notamment grâce au portrait d’apparat peint par Bailleul, conservé au musée d’art et d’archéologie de Périgueux.

 

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Fig. 2 : Bailleul, Portrait de François de Salignac de La Mothe-Fénelon dit Fénelon, 1718, Périgueux, musée d’art et d’archéologie du Périgord, inv. 75.2.

 

La proximité qu’entretiennent les deux œuvres est d’ailleurs extrêmement déconcertante : même pose, même physionomie et une « toute aussi remarquable acuité dans le rendu du visage et des carnations »[4]. Nous retrouvons par ailleurs le même effet de relief recherché par l’artiste, dans le vigoureux contraste entre la moitié gauche du personnage, vivement éclairée, et la partie droite, qui se perd dans les zones d’ombres.

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Fig. 3 : Attribué à Bailleul, Portrait de François de Salignac de la Mothe-Fénelon dit Fénelon (détail du visage), après 1718 (?), collection particulière.

 

Les seules différences semblent résider dans le reste de la composition, puisque le portrait récemment mis en vente se détache sur un fond brun et se trouve dépouillé du décorum très « rigaldien », que l’on retrouve dans le portrait de Périgueux, comme si l’artiste avait davantage cherché à saisir les traits d’un visage - que l’on ressent animé - et traduire la physionomie d’un homme, qu’à mettre en scène le personnage à travers un portrait d’apparat respectant les canons de l’époque.

 

Quelques différences distinguent par ailleurs ce portrait de la toile de Périgueux, au titre desquelles on peut citer le traitement du vêtement, qui laisse apparaitre un camail au dessin « moins anguleux et plus rond (…), qui cherche moins à traduire l’apparence de chaque texture » et quelques variantes dans les plis de la mosette.

 

A noter également que l’ouvrage sur lequel repose la main droite de Fénelon présente une reliure de cuir moins recherchée, sans les ornements dorés au petit fer caractéristiques des beaux ouvrages du XVIIIème siècle.

 

En ce qui concerne la conservation de la toile et de son cadre, nous avons eu la chance de nous procurer de la part du commissaire-priseur chargé de la vente, le rapport de condition du tableau, émis sur la base d’une expertise menée par le cabinet Eric Turquin, expert en tableaux anciens, installé à Paris :

Le tableau a été rentoilé correctement  il y a une centaine d'années. Il se présente sous un vernis récent et léger sur un tableau sale. Nous notons des usures légères dans les bruns ainsi que la trace d'un repentir dans la main.

A la lampe de wood : le tableau se présente sous un vernis vert et ancien nettoyé inégalement: main, manche rouge et blanche, dentelle blanche et visage, qui empêche de lire d'éventuelles restaurations anciennes. Nous notons de très petites reprises éparses dans la cape. Nous observons quelques petites reprises éparses dans le visage: nez front, bouche et menton.

 

Quant au cadre, il s’agit d’une belle et impressionnante bordure en chêne sculpté et doré « à la détrempe » du début du XVIIIème siècle, présentant un abondant décor : rinceaux, mascarons, entrelacs et autres palmettes. Selon l’expert de la vente, le cadre aurait été redoré il y a une centaine d’année, vraisemblablement à l’occasion de la restauration de la toile.

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Fig. 4 : Attribué à Bailleul, Portrait de François de Salignac de la Mothe-Fénelon dit Fénelon, après 1718 (?), collection particulière.

 

II. Un précieux témoignage historique

 

Ce portrait de Fénelon n’est pas inédit, bien que ce soit la première fois qu’il fasse l’objet d’une mise en vente. Déjà cité, plusieurs fois référencé, il s'agit du portrait dit "de Bourdeille", patronyme de son premier propriétaire, marquis de son état et vraisemblablement le commanditaire de l'œuvre au début du XVIIIème siècle.

 

La maison de Bourdeille est une famille contemporaine de celle de Fénelon et aux mêmes encrages locaux. Installée en Périgord, elle serait de souche royale, antérieurement aux Mérovingiens et aurait comme auteur un certain Nicanor, sixième fils de Marcomir IV, roi des Francs, en l'an 127 de l'ère chrétienne. Les degrés de sa filiation sont établis jusqu’à la moitié du XIème siècle[5]

 

Cette Maison chevaleresque dont les membres sont titrés : « Premiers Barons du Périgord, Vicomtes, Comtes de Montrésor » par lettres patentes de 1627 puis enfin « Marquis » par lettres patentes du 4 mai 1609, est l’une des plus anciennes de la province du Périgord, où elle a occupé de tout temps une haute situation à la tête de la noblesse.

 

Famille très pieuse et engagée, elle a fourni à la France plusieurs croisés, ce qui lui valut son admission au célèbre musée des croisés du château de Versailles.

 

Comme toute famille aristocrate qui se respecte, la maison de Bourdeille a détenu jusqu’il y a peu, le château du même nom dont l’existence remonte, de source écrite, à 1183. Cette bâtisse, désormais propriété du département, est assez singulière puisqu’elle est composée, en réalité, de deux château en un : l’un datant du Moyen- Age, dominé par un donjon haut de 32 mètres et l’autre de la Renaissance. 

 

Toujours est-il qu’on ne sait quand et comment le portrait de notre illustre archevêque a intégré les collections de cette famille renommée. Une chose est sûre, il n’a jamais quitté la lignée Bourdeille jusqu’à ce jour. En 1951, il était propriété de Monsieur le Baron de Hennin de Boussu-Walcourt, aide de camp du roi des Belges, qui avait hérité de son oncle, Henri de Bourdeille, décédé en 1947 et dernier baron de Bourdeille[6]. Le tableau aurait ensuite rejoint Wolverthem, en Belgique quand la veuve du Baron légua le château de Bourdeille au département en 1962[7].   

 

En 1878, ce portrait de Fénelon quitta pour la première fois la cimaise de son château périgourdin de Bourdeille pour être exposé au Palais du Trocadéro, lors de l’Exposition Universelle de Paris[8]. Il figura également dans l’exposition « Fénelon et son temps », tenue au musée de Périgueux en 1951[9].

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Fig. 5 : Première de couverture de la Notice historique et analytique des peintures, sculptures, tapisseries, miniatures, émaux, dessins, etc. exposés dans les galeries des portraits nationaux au Palais du Trocadéro à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1878 ; Par M. Henry JOUIN, archiviste de la commission de l’inventaire général des archives d’art de la France, lauréat de l’Institut.

 

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Fig. 6 : Détail de la page 52 de la Notice historique et analytique des peintures, sculptures, tapisseries, miniatures, émaux, dessins, etc. exposés dans les galeries des portraits nationaux au Palais du Trocadéro à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1878 ; Par M. Henry JOUIN, archiviste de la commission de l’inventaire général des archives d’art de la France, lauréat de l’Institut.

 

En 1939, il était proposé à la Ville de Cambrai, pour intégrer les collections du musée municipal[10].

 

III. Une découverte artistique ?

 

Qu’il est difficile d’éclaircir le mystère qui entoure ce portrait de Bourdeille. Mystère sur son auteur, sur l’époque et les conditions de sa réalisation, sur son arrivée dans la lignée Bourdeille et sur son étonnante proximité avec le tableau de Périgueux. 

 

Nous savons que Fénelon, qui est mort en 1715, n’a jamais été peint de son vivant, hormis par Vivien en 1713 dont le tableau est actuellement conservé à la Pinacothèque de Munich. Ainsi, le tableau peint par Bailleul et conservé à Périgueux est daté de 1718. Le tableau peint par Taisne d’après Bailleul et conservé à Cambrai est quant à lui daté de 1733. 

 

Le portrait de Bourdeille n’étant ni daté ni signé, les seules approches que l’on peut en faire semblent résider, d’une part, dans l’analyse – dirons-nous « scientifique » – du  tableau en lui-même et d’autre part, dans la comparaison avec d’autres tableaux identifiés de Fénelon, au premier rang desquels se trouve celui de Périgueux.

 

Pour ce qui est de l’analyse du tableau, tant la technique que le support plaident en la faveur d’une œuvre de la première moitié du XVIIIème siècle. Il en est de même pour le cadre, qui a toutes les raisons d’être celui d’origine.

 

Il semble que les historiens de l’art aient beaucoup hésité quant à l’auteur. Lors de l’exposition universelle de 1878, le portrait de Bourdeille était attribué à Nicolas de Largillière, éminent portraitiste du grand siècle, tandis qu’en 1951, lors de l’exposition « Fénelon et son temps », il était attribué à Vivien. Il faut dire qu’on ne connaissait pas à l’époque le portrait de Périgueux, qui ne s’est présenté sur le marché de l’art que dans les années 1990.

 

Dans son article[11], Madame Ariane James-Sarazin, spécialiste du grand Hyacinthe Rigaud dont Bailleul fut l’élève, se prononce en faveur d’une attribution à Bailleul, pour les raisons que l’on devine à savoir : sa proximité avec la toile de Périgueux et la qualité de la peinture, notamment le traitement du visage. Les seules réserves émises par Madame James-Sarazin quant à cette attribution se retrouvent dans le traitement du vêtement de Fénelon, « moins anguleux et plus rond », « d’un modelé différent de celui de la toile de Périgueux en ce qu’il cherche moins à traduire l’apparence à chaque texture ». Ce traitement du vêtement qui semble moins « abouti » est assez surprenant en ce sens que Bailleul est connu pour son talent dans le traitement illusionniste des matières.

 

Reste un dernier mystère : comment l’artiste a-t-il pu aussi bien représenter Fénelon, qui plus est, dans une pose radicalement différente de celle du portrait de Vivien, peint du vivant de l’archevêque ? Le portrait de Bourdeille ne serait-il pas un portrait préparatoire au portrait de Périgueux, peint dans les dernières années de vie de Fénelon, au moyen duquel Bailleul aurait saisi les traits de ce visage singulier, aux yeux dont « le feu et l’esprit sortent comme un torrent »[12], lui permettant de réaliser par la suite, un portrait d’apparat conforme aux canons du XVIIIème siècle ? Dieu seul le sait, ainsi que Fénelon !

 

Martin PAGNIEZ


[1] SECRET (Jean), « Notes sur quelques portraits de Fénelon », B.S.H.A.P. – Tome LXXVIII – Année 1951 – Pages 250-252

[2] SOUBEYRAN (Michel), « Un nouveau portrait de Fénelon au Musée du Périgord », B.S.H.A.P., t. CII, 1975, p.310.

[3] FAILLE. R., « Les portraits peints gravés et sculptés de Fénelon », Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord – Tome CXVIII – Année 1991

[4] Ariane JAMES-SARAZIN, « Dans le sillage de Hyacinthe Rigaud : le portrait de Fénelon par Bailleul », Hyacinthe Rigaud (1659-1743). L’homme et son art – Le catalogue raisonné, Editions Faton, [en ligne], 3 juin 2017

[5] BOURDEILLE (Hélie-Louis-Charles-Gustave de) « Notice généalogique sur la Maison de Bourdeille suivie des Lettres Patentes de 1609 érigeant la Baronnie d’Archiac en Marquisat en faveur du Vicomte Henri de Bourdeille », 1892

[6] SECRET (Jean), « Notes sur quelques portraits de Fénelon », B.S.H.A.P. – Tome LXXVIII – Année 1951 – Pages 250-252

[7] SOUBEYRAN (Michel), « Un nouveau portrait de Fénelon au Musée du Périgord », B.S.H.A.P., t. CII, 1975, p.303-312.

[8] JOUIN. H., Notice historique et analytique des peintures, sculptures, tapisseries, miniatures, émaux, dessins, etc. Exposés dans les galeries des portraits nationaux au Palais du Trocadéro, [Exposition Universelle de 1878], Paris, Imprimerie Nationale, 1879, n°241, p. 52.

[9] SECRET. J. Notes sur quelques portraits de Fénelon, Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord – Tome LXXVIII – Année 1951, p. 250-252.

[10] FAILLE. R., Les portraits peints gravés et sculptés de Fénelon, Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord – Tome CXVIII – Année 1991, p. 88-104, 20. (…) Le portrait Bourdeilles, qui était attribué à Largillière en 1878, le sera encore en 1939 quand il fut proposé pour 50.000 francs à la Ville de Cambrai qui ne donna pas suite (archives du Musée Municipal de Cambrai).

[11] Ariane JAMES-SARAZIN, « Dans le sillage de Hyacinthe Rigaud : le portrait de Fénelon par Bailleul », Hyacinthe Rigaud (1659-1743). L’homme et son art – Le catalogue raisonné, Editions Faton, [en ligne], 3 juin 2017

[12] Louis de Rouvroy de Saint-Simon (1675-1755).